Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


Les échos & le fil © archives Yann Kerveno

Publié le 1 octobre 2025 |

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Bits en cuisine

L’intelligence artificielle est partout et on ne la voit pas forcément. Alors en cherchant un peu, on en trouve, notamment dans nos assiettes. Comment ? C’est l’objet de ce fil du mercredi premier octobre 2025.

De l’IA dans nos assiettes ? Une longue présentation publiée sur le site d’une plateforme d’innovation et de capital-risque, Thrive, recense les principaux domaines dans lesquels l’IA peut intervenir dans la production alimentaire. Au champ, ou à proximité, elle peut rendre le calibrage des produits plus performant, et permettre de modéliser le comportement des produits agricoles pendant leur phase de stockage. Dans les usines, elle peut contribuer à l’élaboration d’ingrédients innovants ou accélérer grandement la formulation de nouvelles recettes en passant au crible toute une série de combinaisons. Elle peut aussi jouer un rôle en matière de sécurité alimentaire en repérant en temps réel les anomalies dans la fabrication ou la prédiction d’éventuelles contaminations. Au stade de la consommation elle peut servir d’outil à l’hyper-personnalisation des recommandations nutritionnelles… Voilà pour le marketing de la chose. Venons-en maintenant à l’état de l’art.

C’est un long, récent (2025) et passionnant papier d’Ellen Kuhl, de l’université de Stanford aux États-Unis qui fait le tour de la question. « L’IA peut permettre la découverte de nouvelles sources de protéines, optimiser les formulations en termes de goût et de texture, améliorer les processus de production, prédire les préférences des consommateurs et créer des produits innovants qui imitent le profil nutritionnel, le goût, la saveur ou la texture des aliments d’origine animale », avance-t-elle, même s’il elle ne prend pas (encore ?) bien en compte les dimensions sociales, éthiques et sensorielles de l’alimentation. Elle précise ensuite qu’il existe deux types d’IA : la première, non générative, qui se borne à analyser les données, et dont la principale utilisation aujourd’hui repose sur des processus d’optimisation ; la seconde, générative, qui doit avoir la possibilité de formuler des recettes. Pour autant, la technologie a ses limites, elle a du mal à prédire la consistance, la texture ou la saveur, parce que les données de corrélation (goût saveur, texture, etc.) sont (encore) trop peu nombreuses.

Elle cite ensuite les différents champs déjà explorés par l’IA dans le domaine de l’alimentation : la prédiction et l’optimisation de structures protéiques, la mise au point de nouvelles formulations, l’accélération des tests consommateurs, avec l’aide d’un réseau neuronal pour prédire leur réaction, et la réduction de la nocivité des aliments ultratransformés par le remplacement des ingrédients problématiques par la modification des recettes. Elle cite plusieurs exemples comme l’entreprise chilienne NotCo qui a développé la plateforme d’IA Giuseppe14, laquelle « a analysé la structure moléculaire des produits d’origine animale et découvert une combinaison d’ingrédients végétaux, notamment du concentré de jus d’ananas et de jus de chou et des protéines de pois, capables d’imiter la texture crémeuse et la saveur du lait animal. » Ou encore la découverte de composés bioactifs bénéfiques pour la santé humaine, oeuvre de l’entreprise Brightseed. Deux composés bioactifs, la N-trans-caféoyltyramine et la N-trans-féruloyltyramine, bénéfiques pour la santé intestinale ont été découverts et après analyse de 700 000 composés, la société prédit leur présence « dans plus de 80 plantes et a identifié les coques de chanvre comme leur source naturelle la plus riche. » Enfin, il y a l’histoire de la recette de cette glace sans lait imaginée par le biais de la plateforme d’IA Charaka.

Et ce n’est probablement qu’un début, le marché des technologies alimentaires basées sur l’IA devrait atteindre 27,73 milliards de dollars d’ici 2029 avance Forbes. Les applications sont pour l’instant souvent destinées à l’industrie, comme chez Kraft-Heinz qui s’en sert pour la gestion des flux de cornichons de la marque Claussen et annonce un gain de productivité de 12 %.

Mais elle débarque aussi dans la restauration avec des automatisations mues par IA qui remédient au manque de main-d’œuvre (robots cuisiniers, grill…), et déborde déjà largement dans la vie de tous les jours. C’est ce que fait Snaq, une IA qui permet de prédire le taux de glucose d’un repas et ainsi, pour les personnes diabétiques, d’adapter leur comportement. Et jusque dans nos cuisines, on ne compte plus les générateurs de recettes, ici, ou encore … Pour autant, comme toute (r)évolution, l’IA génère un cocktail de risques nouveaux qu’il ne faut pas laisser de côté. Avec en tête de liste l’impact des cyberattaques sur les systèmes et la sécurité alimentaire, les biais des algorithmes ou même ses erreurs car elle est en mesure d’en faire. Plusieurs entreprises du secteur en ont déjà fait les frais, comme cette chaîne de supermarché néo-zélandaise qui a vu l’IA déployée sur son appli, pour créer des recettes avec les ingrédients disponibles, complètement délirer en 2023. Et de proposer aux clients des recettes de chlore, du pain empoisonné et des pommes de terre rôties anti-moustiques ou encore, n’en jetez plus, un « sauté de légumes aux Oreo. » Surgissent enfin des questions éthiques, d’accès aux données et de leur propriété, bref tout un champ de réflexion à explorer. Et sur lequel nous reviendrons.

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