Un feuilleton de Stéphane Thépot, journaliste.

« On..." /> [Autruches] "On croyait qu'il y avait un marché" (1/7) - Revue SESAME

Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


Croiser le faire

Publié le 23 mai 2017 |

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[Autruches] « On croyait qu’il y avait un marché » (1/7)

Un feuilleton de Stéphane Thépot, journaliste.

« On croyait qu’il y avait un marché », avoue Christian Vigouroux. Comme la plupart des éleveurs de bovins viande aveyronnais, cet agriculteur se contentait de produire des veaux qui partaient se faire engraisser en Italie, lorsque surgit la première crise de la vache folle. Inquiet face aux restrictions à l’exportation de la viande de bœuf française, l’éleveur de Sénergues, minuscule village situé à une dizaine de kilomètres de Conques, ne veut plus mettre tous ses œufs dans le même panier. Quoi de mieux pour se diversifier que l’autruche, cette « volaille » géante qui « broute » de l’herbe et dont la viande, rouge, peut se vendre plus cher qu’un filet de bœuf ? D’autant qu’une femelle, qui peut vivre jusqu’à 40 ans, est capable de pondre de 30 à 100 œufs par an, et qu’un seul d’entre eux, durs comme le calcaire, vaut deux douzaines d’œufs de poules !

A La Besse, la ferme familiale des Vigouroux, la décision de tenter l’aventure de cette nouvelle «  poule aux œufs d’or  » est prise collectivement. Il s’agit de dégager un revenu supplémentaire pour permettre l’installation de Cédric, l’un des deux fils du couple. Geneviève, l’épouse de l’éleveur, est d’autant plus favorable à cette diversification originale qu’une de ses cousines, installée à une trentaine de kilomètres de là du côté de Bozouls, a eu la même idée au même moment. Les deux femmes assurent qu’elles ne se sont pas concertées. L’autruche apparaît à l’aube des années 90 comme un filon à creuser. On recense rapidement une dizaine d’élevages dans le très rural département de l’Aveyron, environ 200 à l’échelle de toute la France. Une filière se met en place sur tout le territoire, attirant des capitaux saoudiens qui flairent la bonne affaire.

En Afrique, son continent d’origine, l’autruche saharienne (Struthio camelus) est protégée par la convention de Washington, qui en interdit le commerce. Une sous-espèce (Struthio syriacus) qui avait colonisé les déserts de Syrie et d’Arabie a complètement disparu dans les années 60, et les populations sauvages dans la plupart des autres pays sont en déclin. Seule l’Afrique du Sud, qui a développé des élevages d’autruches pour leurs plumes dès le XIXème siècle, inonde le marché depuis la fin de l’apartheid (1991) et de l’embargo qui frappait le régime. C’est dans ce contexte que l’élevage de ces oiseaux hors du commun, jusqu’alors apanage des seuls zoos, est enfin autorisé en France (1992). D’abord comme animal d’agrément, comme les paons et autres oiseaux exotiques. Puis, rapidement, pour l’alimentation humaine (1993). L’autruche sera-t-elle la dinde du XXIème siècle, le chaînon manquant entre les élevages de volailles de plus en plus industrialisés et la filière bovine, en déclin ?

(suite)




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