Publié le 18 septembre 2024 |
0Antibioquoi ?
L’antibiorésistance a beau revenir régulièrement dans l’actualité, ce n’est pas un sujet neuf. S’il est alimenté par de nouvelles découvertes ou études, il est en fait consubstantiel du développement des antibiotiques. Vous allez voir, c’est bluffant. Le fil du mercredi 18 septembre 2024.
Antibiorésistance
Voilà un des termes un peu angoissants qui reviennent régulièrement dans les médias. On en parle depuis les années quatre-vingt-dix, voire avant. Si Sesame se saisit de nouveau du sujet en ce début septembre (on s’y était penchés ici), c’est parce qu’il a de nouveau fait irruption ces derniers jours dans les gros titres. Et pour cause, le propos est flippant. Une étude récemment publiée par The Lancet annonce que 39 millions de personnes pourraient mourir dans le monde d’ici 2050 à cause de la résistance des bactéries aux antibiotiques. Alors que, selon les calculs, plus d’un million d’entre nous « seulement » est décédé de telles complications entre 1990 et 2021. Pour éplucher le sujet, « les auteurs se sont penchés sur 22 agents pathogènes, 84 combinaisons entre pathogènes et traitements, 11 syndromes infectieux chez des personnes, de tous âges, de 204 pays et territoires, grâce aux données de plus de 520 millions de personnes » est-il décrit dans la dépêche de l’Agence France Presse.
Champions
Il y a bien sûr des champions dans les différents agents pathogènes concernés, certains d’entre eux tirent mieux leur infection du jeu que d’autres. On trouve notamment le staphylocoque doré résistant à la méticilline ou encore les bacilles à Gram négatif résistants aux carbapénèmes (Klebsiella pneumonia, Escherichia coli et le genre Acinetobacter). Et bien entendu, toutes les régions du monde ne sont pas semblablement concernées… La menace la plus lourde, selon les auteurs, pèse sur l’Asie du Sud, l’Amérique latine et les Caraïbes, en particulier pour les populations les plus âgées. C’est assez ardu à lire quand on n’est pas spécialiste mais vous avez l’étude complète ici.
Pas de la dernière pluie
Ce qui est nouveau avec cette projection et ces modélisations purement statistiques, c’est l’ampleur des résultats. Mais l’antibiorésistance n’est pas née d’hier, et vous verrez que ce n’est pas seulement une image. Déjà, il faut rappeler que les antibiotiques ont été développés au XXe siècle avec l’avènement de la pénicilline alors que leur mode d’action était déjà subodoré depuis des siècles. Et que quelques découvertes ont été depuis oubliées, comme ce qui est peut-être le tout premier antibiotique, l’antibactérien Salvarsan destiné à traiter la syphilis en 1940. Ou encore les travaux de René Dubos qui met au point en 1935 une substance produite par des bactéries vivant dans le sol et capable de mettre à mal le pneumocoque, ouvrant la voie à la création de la gramicidine, premier antibiotique commercialisé dont la réputation est vite éclipsée par la famille des sulfamides mis au point au même moment. Ils régneront en maître des armoires à pharmacie jusqu’à ce que la pénicilline, découverte par Fleming mais dompté en 1940 par Florey et Chain et largement diffusée à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale domine le monde. Vous avez plus de détails dans cet article très pédagogique.
Drôlement malines les bactéries
D’autres familles suivront, streptomicine en 1943, chloramphénicol en 1947, téttracycline en 1948, erythromycine en 1952, ampicilline en 1961, ciprofloxacine en 1987, etc. Ce qu’on sait moins, c’est que les résistances apparaissent relativement rapidement, dès 1940 pour les sulfamides, 1946 pour la pénicilline G, 1959 pour la streptomycine, la plus robuste étant à ce jour (sauf erreur) la ciprofloxacine qui n’a produit de résistances qu’à partir de 2006. Une découverte récente de l’Institut Pasteur montre même que des salmonelles avaient développé une résistance à l’ampicilline avant même que celle-ci soit commercialisée pour une utilisation humaine. Les bactéries sont en effet douées d’un formidable sens de l’adaptation, la transduction, et sont capables de sélectionner des éléments leur permettant de résister aux antibiotiques venus d’autres bactéries (c’est assez complexe mais diablement efficace visiblement). Et encore, on vous épargne le chapitre sur les plasmides, ces fragments d’ADN circulaires qui peuvent se « conjuguer » d’une bactérie à l’autre. C’est à cause de ça que les chercheurs se sont gratté la tête pour comprendre comment des bactéries que l’on croyait éradiquées sont revenues sur scène et comment des résistances pouvait être décelées chez des patients qui n’avaient jamais été exposés aux antibiotiques… Vous avez là un papier de Hannah Landecker tout à fait passionnant pour poursuivre sur ce chemin.
Un système
Si vous êtes restés là, on peut alors regarder les causes du développement des résistances. La clé, c’est l’exposition des bactéries aux antibiotiques. Vous vous souvenez tous de la campagne de publicité : les antibiotiques, c’est pas automatique. C’est un principe assez simple à comprendre, on en a aussi beaucoup parlé pour les virus ces dernières années, plus les antibiotiques circulent, plus ils sont en contact avec les bactéries, plus les chances de générer des modifications les rendant résistantes augmentent. « Au cours des 60 années qui ont suivi leur introduction, des millions de tonnes d’antibiotiques ont été produites et utilisées à des fins très diverses. Les améliorations apportées à la production ont permis d’obtenir des composés de moins en moins coûteux, ce qui a favorisé les utilisations non prescrites et non indiquées sur l’étiquette. Le coût des antibiotiques les plus anciens et les plus fréquemment utilisés se situe (probablement) principalement au niveau de l’emballage. La planète est saturée de ces agents toxiques, ce qui a bien sûr contribué de manière significative à la sélection de souches résistantes. Le développement de générations de microbes résistants aux antibiotiques et leur distribution dans les populations microbiennes de toute la biosphère sont le résultat de nombreuses années de pression de sélection ininterrompue exercée par les applications humaines des antibiotiques, par le biais d’une sous-utilisation, d’une surutilisation et d’une mauvaise utilisation. Il ne s’agit pas d’un processus naturel, mais d’une situation créée par l’homme et superposée à la nature ; il n’y a peut-être pas de meilleur exemple des notions darwiniennes de sélection et de survie » résument Julian Davies et Dorothy Davis dans un autre passionnant papier de 2010.
One health
Ils soulignent qu’au-delà des utilisations thérapeutiques ou prophylactiques humaines, elles représentent moins de la moitié de la consommation mondiale, les utilisations ont été étendues à la médecine vétérinaire, à la production de biocides ménagers, etc. Et l’élevage moderne dans le monde entier, qui concentre les animaux dans des espaces restreints a eu besoin des antibiotiques, le plus souvent en prophylaxie pour maintenir la santé des troupeaux et leur productivité. Voire leur productivité puisque certaines spécialités ont été, et le sont encore dans certains pays, utilisés comme facteurs de croissance, une technique bannie en Europe depuis 2006. D’ailleurs chez les animaux d’élevage, la tendance est favorable comme le précisait un rapport de l’ANSES en 2021, la consommation recule plus que chez les humains. Peut-être au bout de cette recension bien incomplète commencez-vous à percevoir ce qui sous-tend, au final, le concept aujourd’hui développé de One Health. Une santé unique pour tous, quel que soit le règne. Parce que les bactéries et les antibiotiques nous ont permis des avancées majeures dans la compréhension du monde. Au fait, et pour l’anecdote. Le mot antibiotique a été inventé par e Selman Waksman, découvreur de la streptomycine. Vous savez (presque) tout.