Published on 10 décembre 2018 |
0[Agrinnov] Une démarche de science participative, des résultats scientifiques (2)
Dans un contexte agricole en pleine mutation, il est essentiel de se doter d’outils de surveillance de la qualité du sol, qui permettent d’appréhender l’impact des pratiques (labour, pesticides, rotation, fertilisation) sur son fonctionnement biologique, et les services qu’il rend pour la production agricole. Le projet AgrInnov (Casdar 2012-2015, voir Cannavacciulo et al., 2017 et le premier article de Sesame ici) a coconstruit ces outils de manière participative avec des agriculteurs. C’est une avancée significative en termes techniques, scientifiques et opérationnels.
Par Lionel Ranjard, Directeur de recherches, Inra, UMR Agroécologie
Elisabeth d’Oiron, présidente de l’Observatoire Français des Sols Vivants (OFSV)
De nouveaux champs de réflexion
AgrInnov a permis d’établir un contexte d’échange des savoirs dans lequel les agriculteurs intervenaient en tant qu’experts en agriculture, face à des chercheurs experts en sciences. Cela leur a permis de mettre plus facilement à distance une vision de la parcelle comme simple objet de production et de mieux se réapproprier leur métier : moins « industrielle », l’agriculture est redevenue cet art de compenser une pratique par une autre pour assurer une production dans le respect des milieux.
D’un point de vue scientifique, cette approche holistique de l’agriculture suppose de développer les moyens d’une analyse systémique pour comprendre l’impact d’un système de culture sur les sols qui le portent.
L’art de l’arbitrage
Les agriculteurs ont rempli des enquêtes sur leurs pratiques et leur système de culture. Quatre critères pertinents et communs à tous les types de production, en particulier aux grandes cultures et à la viticulture, en ressortent et permettent de les caractériser. Ce sont toutes les étapes d’un processus de production dans lesquelles l’agriculteur doit poser des choix stratégiques de culture, à savoir :
– le travail du sol
– l’assolement et la longueur des rotations : couvert, diversité des rotations
– la fertilisation et l’amendement : engrais chimiques, apport de matière organique endogène ou exogène (MOE)
– la stratégie sanitaire de protection des cultures
De la subtilité des indicateurs
Ces premiers résultats montrent en particulier que les indicateurs biologiques élémentaires sont complémentaires, car ils ne livrent pas tous la même tendance au sein et entre les itinéraires techniques.
Dans le tableau ci-dessous (à télécharger ici), chaque ligne correspond aux résultats d’analyse d’un même échantillon de sol au titre de chaque indicateur élémentaire. Les valeurs moyennes des indicateurs biologiques et agronomiques sont représentées en rouge pour un score moyen inférieur au seuil d’alerte ; orange pour un score compris entre le seuil d’alerte et l’optimum ; vert pour un score moyen supérieur à l’optimum.
Les premiers résultats montrent aussi que la sensibilité des indicateurs est différente en fonction du type de production, entre grandes cultures et viticulture. Par exemple, la biomasse moléculaire microbienne est majoritairement dans le vert pour les sols de grandes cultures mais majoritairement dans le rouge pour les sols viticoles.
La tendance générale laisse apparaître que la qualité biologique et agronomique des sols est meilleure dans les sols de grande culture que dans les sols viticoles.
Ceci peut s’expliquer par le fait que c’est souvent en fonction du type de sol que s’opère le choix de système de culture sur une parcelle.
Ce décalage dans la qualité de sol est parfois amplifié par l’existence de pratiques plus agressives dans les systèmes viticoles. En particulier, beaucoup de vignobles conservent les sols découverts pendant de très longues périodes : la biologie des sols et les fonctions et services qui en découlent en sont impactés. De même, on utilise plus de produits phytosanitaires en vignes.
L’un des résultats majeurs est le premier bilan sur un réseau national de la qualité des sols agricoles : il est plutôt positif puisque seulement 10% des sols des parcelles agricoles et viticoles qui ont été étudiés sont fortement dépréciés en termes de patrimoine biologique et de fertilité biologique ; ce résultat mériterait d’être consolidé en étendant l’étude sur un plus grand nombre de sols et de systèmes de production.
A la recherche du Graal…
Si les indicateurs biologiques et agronomiques sont un moyen de comprendre l’empreinte environnementale d’un système de culture, ils ne permettent pas aujourd’hui d’expliquer ce qui dans ce système est agressif, neutre, ou améliore la qualité des sols.
Pour approcher de ce graal, il faut travailler en routine avec les indicateurs AgrInnov, pour pouvoir accumuler des données, au fur et à mesure que les agriculteurs font évoluer leurs systèmes de culture pour réduire leur impact sol.
Là encore, la vision holistique des agriculteurs aidera l’analyse spécialisée des chercheurs.
A partir du moment où les outils qu’ils se sont appropriés leur permettent de prendre les bons repères, les agriculteurs seront les mieux placés pour inventer les pratiques innovantes et vertueuses, par exemple réduire l’intensité de celles qui semblent agressives et/ou compenser, comme compenser trop peu d’amendement par des intercultures restituées.
… et au-delà
Le challenge du programme Agrinnov était de faire travailler ensemble chercheurs et agriculteurs à l’élaboration d’outils opérationnels. Ce n’est pas un moindre résultat d’avoir démontré la faisabilité et l’intérêt de ce type d’approche participative autant pour les agriculteurs que pour les chercheurs.
Cette approche doit donner accès à la fois aux premiers grands volumes de données et aux premières actions d’amélioration sur la base des nouveaux repères d’analyse de la performance du sol d’un système de culture.
Les outils proposés en routine doivent rendre de l’autonomie aux agriculteurs pour ajuster leurs manières de travailler les sols. Ils leur permettent de consolider leur rôle d’experts en agriculture.
Dans le même temps, l’approche participative doit permettre de valider les méthodes d’accompagnement du changement, c’est-à-dire le socle du conseil agricole de demain.
Le Réseau d’Expérimentation et de Veille à l’innovation Agricole (REVA) qui se met en place doit répondre à ces besoins. Au-delà, son extension constitue un challenge à la fois scientifique, technique, opérationnel et épistémologique. En effet, il porte un enthousiasmant changement de paradigme : la recherche agricole de demain se passera dans les champs et s’appuiera nécessairement sur des agriculteurs expérimentateurs, formés à travailler avec les chercheurs.