Agriculture et agro-alimentaire : souveraine dépendance…
Cette année encore, la souveraineté alimentaire est un des gros enjeux du salon de l’agriculture. Et pour cause, elle est à l’honneur du projet de loi d’orientation agricole, qui a été adopté la semaine dernière au Parlement. Mais où en est-on exactement de cette souveraineté qu’on ne cesse de scander ?
Romane Gentil
Jeudi dernier, le parlement a définitivement adopté le projet de loi d’orientation agricole. Sa mesure phare ? Eriger l’agriculture au rang d’« intérêt général majeur » et instaurer un principe de « non-régression de la souveraineté alimentaire ». Une volonté réaffirmée dimanche au Salon de l’agriculture, par Annie Genevard, la ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (deuxième titre d’ailleurs ajouté en 2022, en pleine crise ukrainienne) : « la France doit affirmer sa souveraineté agricole comme un enjeu régalien », a-t-elle scandé. Alors, où en est-on de cette souveraineté ? Ça tombe bien, Terre de Liens vient de publier un rapport chiffré sur le sujet et, d’après la fondation, la situation n’est pas mirobolante.
Avant toute chose, Terre de Liens rappelle qu’avec 28 millions d’hectares de surfaces agricoles (première surface de l’Union européenne), la France dispose théoriquement d’assez de production agricole pour nourrir toute sa population. Cela correspondrait à environ 4300 m2 de cultures par personne, à mettre en regard des 4000 m2 nécessaires pour une personne au régime alimentaire actuel (croisement des chiffres de l’association Solagro et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Bref, de ce point de vue, on est large ! Cela se traduit d’ailleurs dans les taux d’auto-approvisionnement (part de la consommation intérieure couverte théoriquement par la production nationale, sans tenir compte de la part exportée) des différentes filières : comptez 113 % pour la pomme de terre, 103 % pour la viande porcine, 103 % et 120 % pour la crème et le fromage, 195% pour le blé tendre, 148 % pour le blé dur, 116 % pour le tournesol, 169% pour le sucre (France Agrimer 2023). Seuls le soja (48 %), les ovins (53 %) et les fruits tempérés (c’est-à-dire les fruits adaptés au climat de la France métropolitaine, 82 %), ne sont pas produits en quantité théoriquement suffisante pour nourrir la population française.
Alors, trop facile la souveraineté à la française ? Pas si vite. Comme on le disait dernièrement dans Sesame, on ne peut pas résumer la souveraineté à l’auto-approvisionnement. Telle qu’elle a été posée par La Via Campesina dans les années quatre-vingt-dix, la souveraineté alimentaire désigne le « droit des États, des populations, des communautés à maintenir et à développer leur propre capacité à produire leur alimentation, à définir leurs propres politiques alimentaire, agricole, territoriale, lesquelles doivent être écologiquement, socialement, économiquement, culturellement adaptées à chaque spécificité ». En ce sens, quelle est la politique alimentaire de la France ? Le rapport de Terre de Liens affirme qu’elle « a fait le choix d’intégrer son agriculture dans les échanges internationaux ». Ce qui explique que, même si on produit largement « assez », on importe tout de même 26 % des patates et du porc que l’on mange, 36 % de notre beurre et crème, 42 % de notre poulet et même… 75% du blé dur !
Justement, prenons le blé dur, qui sert à la fabrication de pâtes et semoules (quand le blé tendre est la base du pain). Si la France est le deuxième producteur européen (malgré une récente diminution de ses récoltes) derrière l’Italie, elle exporte les 2/3 de ce qu’elle produit. A qui ? A l’Italie pardi ! Le pays de la pasta les transforme en coquillettes, orecchiette, tortellini et autres merveilles amidonnées. Puis la France importe le tout. L’an dernier, ce paradoxe avait motivé le Plan de souveraineté blé dur porté par la filière et l’Etat, à hauteur de 43 millions d’euros. En 2023, la France était le troisième pays fabricant de pâtes dans l’Union européenne.
Demi-sel ou doux ?
Pour le beurre, la situation est différente : on en consomme de plus en plus (8 kg/habitant et par an en moyenne), de quoi faire de nous les premiers consommateurs mondiaux. Alors, même si la France est le deuxième producteur mondial, ça ne suffit pas : on importe 40 % de ce que l’on consomme !
Pareil pour la volaille : en 2024, elle est devenue la viande la plus consommée des Français (devant le porc). Au total : 31,6 kg/an et par habitant, rien que ça ! Et ce, alors que le taux d’auto-approvisionnement du poulet plafonne à 81 %. En prenant en compte la production française destinée à l’exportation, c’est évidemment moins : seuls 58 % de notre consommation est couverte par la production nationale. D’où les 42 % importés d’Amérique du Sud, d’Ukraine et même… de Chine. Et si vous, vous faites attention au drapeau bleu blanc rouge sur votre filet en supermarché, sachez que cela n’y suffira pas. Car les importations en volailles (plus d’un milliard d’euros de déficit quand même !) concernent surtout l’industrie alimentaire et la restauration hors domicile.
Tout compris, la France a exporté pour 82,1 milliards d’euros de produits agroalimentaires en 2024, et importé pour 77,2 milliards, pour un excédent budgétaire de 4,9 milliards. Le plus bas depuis quarante ans, comme le rapporte Le Point. Si ce chiffre est déjà nature à de nombreuses réactions (et pas qu’au Salon de l’agriculture), il y a pourtant quelque chose qu’il ne prend pas en compte : le rapport rappelle que la France consomme chaque année 8,5 tonnes d’engrais minéraux en grande partie importée. Comme la montré la crise Ukrainienne il y a peu, il existe une réelle dépendance européenne à ces substances importées, à même de peser dans les relations diplomatiques. De quoi mettre en danger la souveraineté.
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