De l'eau au moulin

Published on 3 juillet 2020 |

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A l’origine du blé tendre Renan : une obtention sans mystère

Joseph Jahier et Bernard Rolland, INRAE, Centre de Bretagne Normandie, UMR IGEPP

Renan, une variété de blé tendre créée par l’Inra dans les années 1980, est largement utilisée en Agriculture Biologique (AB) pour ses qualités de régularité du rendement et de résistance aux maladies, et sa valeur boulangère. Cependant, elle fait l’objet de suspicion de façon répétée dans certains réseaux AB et dans certains médias, au motif qu’elle serait un Organisme Génétiquement Modifié (OGM). Or il n’en est rien : les chercheurs qui l’ont sélectionnée sont formels et prêts à expliciter son mode d’obtention. Renan est issue d’un croisement. Pourquoi, alors, une telle polémique ?



Un « blé bio génétiquement modifié » ?

 A chaque nouvel article dans la presse affirmant que Renan « peut être considéré comme » un OGM et « relève du génie génétique au sens large » (sic) les chercheurs de l’INRAE et obtenteurs historiques, impliqués malgré eux dans cette dispute, se sont posé la question de savoir s’ils devaient répliquer. Faut-il répondre à des attaques infondées, au risque d’alimenter une polémique qui dure ? Une mise au point factuelle a été finalement décidée.

Elle s’impose aussi parce des coopératives spécialisées en AB, qui commercialisent la variété Renan, ont ré-interpellé l’Inrae. En 2017, c’était un enseignant d’un lycée agricole qui s’inquiétait en découvrant que, à l’occasion des 70 ans de l’Institut, le site internet de l’Inra revenait, parmi les faits marquants, sur le lancement de Renan en janvier 1989 : « Variété préférée des producteurs bio, ce blé tendre d’hiver résulte d’un montage génétique complexe. Contrairement à d’autres OGM de l’époque, cette variété n’intègre pas un simple gène ajouté mais deux fragments chromosomiques provenant d’une graminée sauvage incapable de se croiser naturellement avec le blé tendre. » Affirmations qui ajoutaient au trouble et appelaient cette mise au point.

L’histoire de Renan

La variété lignée pure de blé tendre Renan, sélectionnée à l’Inra de Rennes par G. Doussinault et son équipe, a été inscrite au catalogue français en 1990. Au début des années 2000, faute de sélection dédiée, Renan était la variété la plus cultivée en agriculture biologique. Une rumeur a alors circulé dans les campagnes, dans une partie du monde de l’agriculture biologique, sur cette variété moderne dont les origines suspectes seraient liées à des « manipulations en laboratoire ». Certains producteurs en tiraient comme conclusion la nécessité impérieuse de cultiver des variétés anciennes (d’avant 1960), seules garantes d’une « étanchéité » vis-à-vis des biotechnologies.

A la même époque, la variété population de sarrasin La Harpe, également créée à l’Inra, a elle aussi subi des attaques concernant un recours à la mutagénèse, ce qui a conduit, en agriculture biologique, certains agriculteurs à l’abandonner au profit de populations au potentiel de rendement limité. Un article a été publié en 2007 pour rétablir les faits sur l’histoire de cette variété (Rolland, 2007).

A partir de 2013, la variété Renan est devenue la cible des détracteurs de l’agriculture biologique (AFIS, AFBV, site Agriculture et Environnement) qui l’ont présentée comme « un blé bio génétiquement modifié » (Rivière-Wekstein, 2013), puis « un véritable OGM » (Gallais, 2015). Ces attaques ont été réitérées et se sont amplifiées en 20191. En février 2020, ce fut au tour des Echos de reprendre un communiqué inexact du GNIS (Groupement National Interprofessionnel des Semences et plants) dans leur dossier spécial « Salon de l’Agriculture » des 21-22 février 2020.

Travaillant dans l’unité Inra où Renan a été sélectionnée, nous avons été interpellés à chacune de ces attaques. Nous avions préféré garder le silence pour ne pas attiser une controverse stérile. Cette fois nous avons décidé d’expliquer factuellement le processus de création de Renan.

Les étapes de la création de Renan

Sélection et croisement
Renan a été sélectionnée dans la descendance d’un hybride double (Figure 1).
L’un de ses 4 parents est VPM_Moisson_4. Ce dernier est issu du croisement de la variété de blé tendre Moisson avec la lignée VPM1 produite par N. Maïa en 1967 à l’Inra de Versailles.

L’obtention du géniteur VPM1
Elle s’est faite en deux étapes décrites par Maïa (1967).

La première étape a été le croisement interspécifique Aegilops ventricosa × Triticum persicum.
Ae. ventricosa : espèce tétraploïde (2n = 28, DDMM, M est appelé maintenant Un) présente sur le pourtour méditerranéen dont la France ;
T. persicum (2n = 28, AABB) possède les mêmes génomes que le blé dur.
Le croisement entre ces deux espèces a été réalisé comme tout croisement entre deux lignées de blé tendre : des épis d’Ae. ventricosa ont été castrés puis pollinisés par T. persicum. Quelques grains F1 ont été obtenus.

Lors de la deuxième étape, l’hybride F1 Ae. ventricosa x T. persicum (2n=28, ABDM), stérile, a été traité à la colchicine pour restaurer la fertilité. La colchicine est un alcaloïde naturel extrait de colchique (genre colchicum). Le traitement à la colchicine a permis de produire l’amphiploïde à 2n=56 chromosomes (AABBDDMM). Ce dernier est fertile et a donc pu être rétrocroisé trois fois par la variété Marne (Figure 2). La bibliographie ne nous a pas permis de déterminer si la colchicine utilisée à Versailles était d’origine naturelle ou de synthèse.

Le premier rétrocroisement donne une F1 à 49 chromosomes (AABBDDM). Il se produit naturellement des recombinaisons génétiques dans cette F1 entre les chromosomes du génome D de Marne et ceux du génome D d’Ae. ventricosa. Après le premier rétrocroisement par le blé tendre, les chromosomes du génome M qui restent à l’état d’univalent à la méiose s’éliminent au cours des générations suivantes et on revient rapidement à des plantes fixées à 42 chromosomes. Cependant, de très rares appariements peuvent se produire entre d’une part des chromosomes A ou B ou D et d’autre part des chromosomes M et être à l’origine de l’introduction de gènes du génome M dans le blé.

Depuis 1967, des études complémentaires ont permis d’apporter des informations sur les gènes de résistance introduits à partir d’Ae. ventricosa :
Pch1, gène majeur de résistance au piétin-verse introduit sur le bras long 7DL. Le niveau de résistance conféré par Pch1 est supérieur à celui de la variété Cappelle qui était, à la création de VPM1, la variété la plus résistante (Jahier et al 1978).
Yr17, Lr37, Sr38, Cre5 : gènes de résistance respectivement aux rouilles jaune, brune et noire, et au nématode à kyste. Ces 4 gènes sont portés par un court segment chromosomique du génome M introduit en position distale sur le chromosome 2A du blé (Jahier et al 2001).
Renan possède l’ensemble de ces gènes de résistance.

Il est donc clair, à la lumière des éléments ci-dessus, que l’obtention de VPM1, et celle de Renan, ont fait appel à des techniques utilisées classiquement dans la sélection du blé tendre. Seul le doublement du nombre de chromosomes par la colchicine, par ailleurs utilisé depuis dans les programmes de sélection faisant appel à l’haploïdie, était alors une technique originale mais néanmoins hors du champ de la transgénèse.

Des hybrides dans la nature

Il est aussi important de signaler qu’un croisement entre Ae. ventricosa et le blé dur ou le blé tendre pourrait se produire spontanément dans la nature. Des publications relatent le croisement d’autres Aegilops tétraploïdes avec le blé. Le premier hybride blé × Aegilops a été signalé en 1848 par Fabre dans la région d’Agde. J. David (SupAgro-INRA, Montpellier) a fréquemment observé des hybrides blé dur × Ae. ovata (2n = 28, UUMM) dans le Sud de la France. Ces mêmes hybrides spontanés ont été décrits en Espagne par Loureiro et al. (2006). Ces hybrides peuvent se croiser avec l’un des parents. C’est ainsi qu’on a pu mettre en évidence des gènes du blé tendre introduits dans le génome des Aegilops (Perez-Jones et al. 2006, Parisod et al. 2013, Weissmann et al. 2005).

Pas de débat dans les labos

Précisons que cette « question Renan » ne relève absolument pas du débat qui a existé entre les chercheurs, en particulier selon les approches disciplinaires et pendant de nombreuses années au sujet des OGM et qui est bien documenté (Cornu, Maeght et Valceschini, Histoire de lINRA, p. 352 et suivantes). De fait, ce débat s’est peu à peu éteint avec l’abandon des essais en plein champ des plantes OGM depuis le moratoire européen de 19992.

Pour le public, l’information sur l’obtention de Renan et les sources sont libres d’accès. Rien n’a jamais été dissimulé par l’Inra sur le mode de création de la variété.

Une partie de la controverse vient-elle de ce que les étapes de la création variétale décrites ci-dessus sont complexes ? Ou d’une mauvaise interprétation de ces étapes ? C’est possible. Pourtant certaines attaques émanent d’anciens chercheurs, généticiens ou biologistes moléculaires, parfaitement informés de ce que nous avons décrit.

Vraie controverse ou vieille querelle ?

La « controverse » ici n’a donc rien d’une question de science ou de recherche : les sélectionneurs et chercheurs travaillant sur le blé tendre à l’INRAE sont formels, Renan n’est pas un OGM, ni au regard des techniques utilisées, ni au regard de la réglementation.

Cette vieille (et mauvaise) querelle n’existe encore que parce que des informations propagées dans les médias sont d’abord partielles et surtout partiales. Leur but est de semer un doute sur le périmètre des biotechnologies dites OGM pour, paradoxalement, les banaliser et ouvrir des extensions (ou contrecarrer des interdictions) dans les discussions réglementaires, comme si le transfert de gènes par transgénèse, par exemple, était équivalent aux opérations que nous avons décrites. Vieille tactique qui rappelle « l’équivalence en substance » et autres notions contestées utilisées dans ces batailles (batailles toujours en cours, voir les dernières décisions du Conseil d’Etat et de l’Union européenne). Il s’agit de réhabiliter les OGM auprès de l’opinion, tout en discréditant le secteur de l’AB, réticent sur l’usage de la plupart des biotechnologies. Des médias sont malheureusement tombés dans le panneau. 

Remarquons à quel point il est curieux de voir une question « scientifique », ou prétendue telle par ceux qui la soulèvent, être argumentée en termes de « comme si » et de « c’est tout comme ».

Pour ne rien simplifier, il est extrêmement regrettable qu’en 2020 le Gnis cite Renan, « une variété largement utilisée pour sa résistance aux maladies, notamment en agriculture biologique », lorsqu’il défend des variétés obtenues par mutagenèse et récemment interdites par le Conseil d’Etat (L. Marcaillou, les Echos, 21 février 2020). En effet la variété Renan n’a pas davantage été obtenue par mutagenèse.

Pour le reste, dans le domaine de la sélection végétale, il appartient in fine aux acteurs de l’agriculture biologique de se prononcer sur ce qui est acceptable ou pas, compatible ou pas, avec ses principes et son cahier des charges.

Nous, sélectionneurs et chercheurs du service public, ne pouvons que plaider la transparence en espérant que les faits l’emporteront. Ainsi des pseudo-controverses n’occuperaient pas autant et indûment l’espace et le temps du débat public, en lieu et place des vraies questions qui se posent aujourd’hui pour la sélection variétale en général et l’agriculture biologique en particulier. Celle-ci, prototype de l’agroécologie, est un domaine de recherche resté trop longtemps orphelin de création variétale, alors que la transition agroécologique appelle un investissement de recherche significatif.  

Voir ici les références bibliographiques de l’article


 

  1. Les trois derniers épisodes de la polémique sont un article qui s’interroge, début 2019, « Faut-il opposer agriculture biologique et biotechnologies ? » (Kresman, 2019) puis une réponse publiée en mars « OGM ou pas ? Le point sur le blé Renan » (Prat, 2019) suivie d’une riposte en mai par un courrier des lecteurs « La variété de blé Renan : OGM ou pas ? » (Gallais, 2019).
  2. « Ainsi, pour l’Inra, dès 1999, l’essentiel est joué : il n’y aura plus d’engagement massif de la puissance publique dans la recherche sur la transgenèse à des fins agricoles et alimentaires. Il faut donc en tirer toutes les conséquences pour l’institut. La plus immédiate, c’est la conscience de ce que, désormais, la crise et la controverse sont devenues le mode « normal » des relations entre science et société, et qu’il n’est plus possible de demander la caution de l’État pour des recherches qui ne trouveraient pas l’assentiment, éclairé ou non, de l’opinion publique. Pour les chercheurs, eux-mêmes confrontés à une crise de la scientificité, caractérisée par la montée des problématiques de la complexité, des signaux faibles et des évolutions chaotiques, dans un contexte social et culturel de contestation sans cesse plus radicale du rationalisme, c’est à une profonde remise en cause de leur manière de vivre la science qu’ils doivent s’atteler. » (Cornu, Maeght et Valceschini, 2018. Histoire de l’INRA. Entre science et politique, p. 355)

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