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Quel heurt est-il ?

Publié le 16 avril 2020 |

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[Epidémies] Le porc de l’angoisse

par Sylvie Berthier

Retour sur l’épidémie de Peste Porcine Africaine (PPA), heureusement non transmissible à l’homme, qui se propage depuis un siècle. Le télescopage avec l’épidémie de Coronavirus laissera longtemps, notamment en Chine, traces et traumas. Bilan : 6,7 millions de porcs abattus, une déstabilisation socio-économique et toujours ni traitement ni vaccin.

Dans les steppes arides, les forêts humides et les prairies buissonneuses d’Afrique subsaharienne, phacochères, potamochères et autres hylochères trottent allègrement tout en trimbalant, depuis au moins un siècle, la Peste Porcine Africaine, sans montrer trace d’aucuns symptômes. Et le virus de circuler à bas bruit, d’individu à individu, par les morsures de tiques molles. C’est ainsi que ces suidés sauvages sont devenus le réservoir naturel de la maladie. De véritables bombes à retardement, car leurs cousins domestiques une fois contaminés, eux, succombent à coup sûr de fièvre hémorragique (d’où Fièvre Porcine Africaine, l’autre nom de la maladie). Décrite pour la première fois au Kenya en 1921, la PPA s’est donc installée et circule en Afrique, où elle est devenue endémique en région subsaharienne. Avant de coloniser le reste du monde.

Itinéraire d’un tueur
Dans les années 1960, avec le développement du commerce international, la maladie fait ses premières incursions en dehors de l’Afrique, sur les continents américain et européen, où les foyers sont plutôt rapidement éradiqués, à l’exception de la Sardaigne, où la PPA est endémique depuis 1978.

A partir de 2007, tout se gâte et s’accélère, avec la détection d’un foyer dans un élevage porcin de Géorgie. L’hypothèse la plus probable : un bateau arrivé d’Afrique et arrimé dans le port de Poti décharge des déchets de cuisine contenant du porc contaminé, qui seront écoulés dans la pitance de cochons de basse-cour (backyard). Une introduction unique dans le Caucase et voilà le début de l’épidémie animale du siècle. 


Site touché par la Peste porcine africaine, typique des petits élevages backyards présents dans tous les villages de la zone du Delta du Danube.
Photos : crédit Anses

« Paradoxalement, ce virus n’est pas si contagieux que cela – il ne se transmet pas par voie aérienne, explique Nicolas Rose, chef de l’unité Épidémiologie, santé, bien-être à l’Anses, du laboratoire Anses de Ploufragan-Plouzané-Niort, laboratoire national de référence pour le virus de la PPA. Il se transmet par contact direct entre les animaux, ou si les animaux consomment des déchets de cuisine infectés. Si elle n’est pas contrôlée, la maladie se répand alors comme une traînée de poudre, avec un taux de 95% de létalité. Il faut aussi savoir que le virus résiste dans les carcasses, et qu’on le retrouve dans tous les organes et muscles irrigués par le sang. Bref, dans les salaisons et jambons secs, dans la viande crue et, voire plus longtemps, dans les viandes congelées… »

C’est ce qu’il s’est passé. Tel un rouleau compresseur, la maladie a colonisé peu à peu le continent eurasien (Arménie, Azerbaïdjan, Sud de la Russie), touchant tour à tour faune sauvage et domestique. « A partir de là, continue N. Rose, elle a voyagé vers l’ouest, soit en se diffusant localement au sein de petits élevages peu contrôlés nourris d’eaux grasses ou de déchets de cuisine, soit par des sauts de plusieurs milliers de km, le plus probablement par le transport de viande, carcasse ou charcuterie contaminée atterrissant dans des déchets de cuisine distribués à des porcs. Une tradition qui perdure dans ces pays-là, formellement interdite en France et dans l’Union européenne. L’épidémie finit par entrer en Biélorussie, mais nous avons très peu d’informations sur la situation dans ce pays. »

En 2014, la PPA s’invite dans l’Union européenne, d’abord en Pologne et dans les pays Baltes où elle est devenue enzootique chez les sangliers sauvages, puis en Moldavie (2016), Roumanie et république Tchèque (2017), Hongrie et Belgique (2018). Une enquête ouverte chez notre voisin s’oriente vers une origine délibérée d’introduction de sangliers d’Europe de l’Est pour la chasse. Enfin, le continent asiatique est largement frappé : la Chine en août 2018, puis la Mongolie, Taiwan et le Vietnam en 2019. Le risque de diffusion est devenu mondial. La France est encore épargnée. Et retient son souffle.

La fièvre des pouvoirs publics
Autant dire que lorsque des sangliers contaminés ont été retrouvés morts, en septembre 2018 en Belgique, à deux pas de la frontière française, le sang des pouvoirs publics français n’a fait qu’un tour ! 130 km de clôtures érigées, vide sanitaire par éradication des sangliers, surveillance renforcée1 des animaux sur le terrain par les chasseurs, les naturalistes, les agents de l’Etat… Mais le confinement pour cause de Covid-19 n’arrange pas les choses. Et puis, depuis le 16 octobre 2018, cette maladie à déclaration obligatoire fait l’objet d’un arrêté biosécurité, aux normes sanitaires implacables. Il faut dire que le risque est énorme : éradication des cheptels, fin des exportations, une filière au tapis…
Pour Thomas Berthe, le Monsieur Biosécurité au ministère de l’Agriculture, nous sommes face à « une évolution des modalités d’élevage à long terme. Le mot-clé, c’est le sas : une zone d’élevage étanche à toute contamination par le virus. Pour les structures confinées, c’est assez facile, il suffit de maîtriser ce qui rentre dans le bâtiment, de changer de vêtements, de chaussures, de se laver les mains. Pour l’élevage en plein air, le mur est constitué de clôtures et des modalités particulières pour y pénétrer. »

Si la grande majorité des élevages se mettent activement aux normes, quelques-uns font de la résistance, ceux notamment où les cochons vaquent en toute liberté en forêt ou en maquis. Clôturer intégralement des parcours de plusieurs hectares ? Impossible. Des expérimentations sont donc en cours pour trouver des alternatives. En Corse notamment, où les cochons semi-sauvages indolents sur les routes ou devant les maisons font figure d’institution, au cœur de la culture faunistique, gastronomique et touristique. Sauf que, souvenez-vous, à quelques encablures de là, la PPA sévit en Sardaigne. C’est presque un miracle que les suidés de l’Île de beauté n’aient pas encore été contaminés. Affaire à suivre…

Toujours ni traitement ni vaccin…

Dernier avatar de cette histoire : un siècle que la PPA est connue, et pourtant toujours ni traitement ni vaccin. Plusieurs raisons à cela, techniques d’abord. Écoutons N. Rose : « Ce gros virus à ADN double brin de la famille des Asfarviridae, genre Asfivirus, s’avère complexe. Les deux extrémités du génome sont assez variables et sont sûrement impliquées dans les déterminants de pathogénicité. Et puis, ce virus malin a aussi la particularité de se multiplier dans les macrophages (globules blancs) se cachant ainsi du système immunitaire. Il se joue une sorte de course de vitesse entre la réplication du virus et la mise en place d’une réponse immunitaire efficace et protectrice par l’organisme ».

Mais ce n’est pas tout. Comme tout médicament, les vaccins sont soumis au couperet du rapport coûts-bénéfices. Soyons clairs, « Jusqu’à 2014, avant son arrivée dans l’Union européenne et qu’elle ne devienne une crise de pays riches, la PPA n’était qu’une problématique de pays pauvres. Cela reste vrai aussi pour certaines maladies humaines. La recherche de solutions vaccinales, notamment par les industries pharmaceutiques, n’a pas été à la hauteur des enjeux pour contrôler la maladie en Afrique, non solvable, alors que les conséquences sont graves aussi pour les populations locales dont les cheptels sont décimés », termine notre interlocuteur. Rappelons d’ailleurs qu’on estime que les maladies animales sont à l’origine de 20% de pertes dans le domaine des productions animales au plan mondial.

Mais, aujourd’hui, la maladie a tellement diffusé dans des pays économiquement solvables, notamment en Chine, 1er pays producteur de porcs, qu’on ne compte plus les publications scientifiques et autres promesses d’un vaccin. Canadiens, Espagnols, Européens, Américains et Chinois, bien sûr, sont sur les rangs. Ce sera jackpot pour le premier à sortir le médicament.  Patience toutefois, car la science ne va pas au rythme de l’espoir. Il faudra d’abord « trouver un résultat probant en laboratoire, puis le mettre en adéquation avec les normes internationales et vérifier sa sécurité et son efficacité », tempère Jean-Philippe Dop, directeur adjoint de l’OIE. Et, enfin la montée en puissance industrielle pour le produire.

Double peine pour la Chine.
On imagine difficilement le soulagement pour la Chine, tant le télescopage de la PPA et du Corona laissera de traces et de traumatismes. Il faut comprendre : avant l’arrivée du Coronavirus, la Chine traversait une crise sanitaire et économique majeure. Premier producteur mondial de porcs, l’Empire du milieu élevait près de 700 millions d’animaux par an, soit près de la moitié de la population porcine mondiale. En 2018, la maladie s’est diffusée massivement, notamment via « le transport sur de longues distances des animaux vivants, afin que ceux-ci soient abattus au plus près des lieux de consommation (consommation de viande « chaude », c’est-à-dire provenant d’animaux abattus peu de temps avant l’achat) » explique Jean-Marc Chaumet, économiste à l’Idele. Et, surtout, de manière non contrôlée, laissant sur le carreau des millions de bêtes, aussi bien dans les petits élevages familiaux qu’au sein des gigantesques usines à cochons : à ce jour, 6,7 millions d’entre elles sont passées à la trappe. Les raisons ? « Pas de diplôme pour devenir agriculteur, c’est souvent de père en fils, certains s’y mettent pour faire de l’argent sans s’y connaître, très peu de vétérinaires privés, les éleveurs se débrouillent soit par eux-mêmes, soit en faisant appel à des services vétérinaires publics peu disponibles et assez mal formés », commente l’économiste. « Le système sanitaire, bien qu’en constante amélioration, n’est pas idéal et pas aussi performant qu’en Europe. Je dis cela, mais on verra si la PPA arrive un jour en France… »

Veiller au grain

Si la PPA fait des ravages, il ne faut pas oublier les autres maladies animales, la fièvre aphteuse au premier chef. Prévenir plutôt que guérir, c’est le mot d’ordre à tous les étages des instances sanitaires et alimentaires.
Epidémiosurveillance, kits de détection en masse, formation, information… tout est (presque) fait afin de tuer dans l’œuf tout début d’épidémie ou de résurgence. A noter la création en 1954 de la Commission européenne de la lutte contre la Fièvre aphteuse (Eu FMD) de la FAO afin de lutter contre cette maladie très contagieuse ravageant le continent européen. Désormais, via le Remesa, Réseau méditerranéen de santé animale, et en lien avec l’OIE, elle traque d’autres maladies transfrontalières, notamment la Peste des Petits Ruminants (PPR), dont la France est indemne, mais endémique en Afrique et au Moyen-Orient et dont l’impact se fait rudement sentir sur le niveau de vie des éleveurs les plus pauvres de la planète. Un plan d’éradication est prévu pour 2030.
Remerciement à Jean-Luc Angot, CGAAER, ancien président de l’EuFMD, pour son aide précieuse.


  1. https://www.plateforme-esa.fr/mots-cles/ppa

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