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De l'eau au moulin

Publié le 26 avril 2019 |

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Une possible harmonie entre les sciences biologiques et le droit de la propriété industrielle

par Rim Achour 1

Intégrer des notions scientifiques au sein des objets juridiques
et vice versa

Les rapports entre sciences biologiques et droit de la propriété industrielle peuvent sembler conflictuels. Les origines des postulats, les logiques, la démonstration, les espaces d’applications, les acteurs… divergent. Ces divergences observées par le prisme de la dialectique2 sont des différences qui peuvent faire l’objet d’un transfert entre les disciplines. Le conflictuel n’est plus et cède la place à l’harmonie 3. Il est clair que l’idée d’une harmonie n’indique pas un parallélisme parfait entre les disciplines. Elle suppose simplement une intégration des notions scientifiques au sein des objets juridiques et vice versa une modulation de l’activité scientifique par l’intermédiaire de la norme juridique ; cette intégration préserve parfois la notion scientifique et conduit parfois à la moduler. L’idée d’une harmonie est étudiée à travers l’exemple de la variété végétale en droit des obtentions végétales et l’exemple de l’ADN brevetable en droit des brevets.

La variété végétale est un concept technique figurant un ensemble qui partage des caractères spécifiques et héréditaires. Le concept est technique car il sert d’unité de mesure permettant d’identifier un groupe de végétaux partageant des caractères communs. La mesure se réfère à des notions scientifiques. Le référent scientifique s’articule autour des notions d’espèces et de ses subdivisions. Dans ce cadre, la variété désigne un groupe de plantes distinctes, stables et présentant des caractères analogues ou identiques. Le lien droit des obtentions végétales-sciences biologiques s’exprime par la notion de flexibilité : les propriétés biologiques de la variété font que la condition juridique d’homogénéité délimite un ensemble cohérent d’organismes qui peuvent être différents. La stabilité n’est pas non plus une condition absolue. Elle admet des seuils définis au regard de la variabilité du vivant.

La notion juridique de règne végétal n’est pas similaire à sa définition scientifique

Ce concept s’applique au règne végétal. Reprise au sein de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales, la notion juridique de règne végétal n’est pas similaire à sa définition scientifique. Selon les coutumes culturales, chaque État propose un aménagement particulier de ce champ. Les algues, comprises au sein de ce règne, sont rejetées par les lois du Canada, du Kenya et de la Nouvelle-Zélande. Elles sont incluses par les lois australiennes et japonaises. Les champignons, bien qu’ils ne soient pas insérés au sein du règne végétal, sont admis par les lois australiennes, japonaises et la nouvelle Zélande et rejetés par les lois au Canada et aux États-Unis 4. Les huîtres font aussi l’exception au règne végétal : elles sont protégeables au Japon. La logique scientifique éclaire à certains égards la logique juridique. Toutefois, à la différence de la loi scientifique, l’interprétation juridique du règne végétal est plurifactorielle. Il en résulte que le champ juridique du règne végétal, tout en se référant à la science, utilise ces notions en fonction de l’intérêt agronomique des États d’une part, et des possibilités techniques, d’autre part.

Un gène et ses éléments naturels dérivés ne sont pas uniquement
des molécules chimiques

La brevetabilité de l’ADN est confrontée à cette rencontre tumultueuse des lois scientifiques et des lois juridiques. En effet, la distinction entre ce qui demeure du domaine de la nature – ou du commun – et ce qui peut faire l’objet d’une propriété industrielle est fondée sur l’intervention de l’homme : l’extraction de la matière génique de son espace cellulaire fonde dans le domaine de la génomique la justification d’une technicité qui rend l’ADN une invention potentielle. Cette approche renvoie à une définition réductionniste du gène en tant que molécule chimique, structurellement modifiable. L’approche évolutionniste n’est pas prise en considération. En effet, la matière génique est assimilée à une molécule autonome dépourvue d’identité informationnelle, qui est en fait le propre du vivant. Toutefois, les affaires relatives aux gènes BRCA remettent en question cette approche. Dans sa décision du 13 juin 2013 5, la Cour suprême des États-Unis a affirmé qu’une séquence d’ADN natif est un produit de la nature et n’est pas brevetable par le simple fait qu’il a été isolé, mais que l’ADN complémentaire reste brevetable parce qu’il n’existe pas naturellement. La Haute Cour d’Australie a unanimement infirmé la décision américaine. L’arrêt rendu le 7 octobre 2015 6 affirme la conception informationnelle de l’ADN. Ainsi ni l’ADN génomique, ni l’ADN complémentaire ne sont brevetables. Cette décision est la première à admettre qu’en définitive, un gène et les éléments naturels dérivés du gène ne sont pas uniquement des molécules chimiques. Elles sont principalement une source d’information présente à l’état naturel. Ainsi, l’usage de l’ADN natif ne relève pas des droits de la propriété.

L’écoute des contestations sociales permet aux disciplines de co-évoluer en harmonie et garantit en un sens le progrès social

Ces diverses considérations mettent en relief l’importance du dialogue entre les disciplines 7. Le droit de la propriété industrielle est ouvert aux sciences biologiques. Et les sciences biologiques modulent progressivement les objets juridiques. L’écoute des contestations sociales permet aux disciplines de co-évoluer en harmonie et garantit en un sens le progrès social.

[Cet article est issu à la fois de mes résultats de recherche (thèse soutenue le 29/11/2018 à Lyon3 ) et d’un working paper présenté oralement à l’occasion de l’événement : « Approche pluridisciplinaire des phénomènes : réflexions croisées sur les méthodes », organisé par  l’École doctorale de droit (ED. 492), l’Institut Universitaire de France (IUF) et l’Institut sur les systèmes complexes (IXXI). ( 2017)]

  1. juriste, docteur en droit et généticienne. Université Jean Moulin Lyon 3
  2. L’approche d’une dialectique entre le droit et son contexte a été introduite par le professeur Bergé Jean-Sylvestre (2000) ; voir en outre : BERGÉ J-S, GRUMBACH S., We need new laws to regulate the world’s newest frontier : the datasphere, The Conversation, 2016.
  3. ACHOUR R., Innovation végétale et propriété intellectuelle : approche dialectique du droit et de la science, Thèse en droit privé, dir : BERGÉ J-S et BINCTIN N., Université Lyon 3, 2018.
  4. En vertu de la loi sur la protection des obtentions végétales, les États-Unis d’Amérique protègent toutes les variétés de plantes reproduites par voie sexuée et de plantes multipliées par tubercules, à l’exclusion des champignons et des bactéries (article 42.a).
  5. Ass’n for Molecular Pathology – Uspto., 702 F. Supp. 2d 181 Association for Molecular Pathology – United States Patent and Trademark Office, 689 F.3d 1303, 103 USPQ2d 1696 (Fed. Cir., 2012).
  6. Australie, affaire BRCA1- and BRCA2- based hereditary cancer test patent litigation, 3 F.Supp.3d 1213 (D. Utah 2014).
  7. D’autant plus si l’on considère les divers rebondissements de la jurisprudence de l’Office européen des brevets : les affaires Brocoli-Tomate et récemment les poivrons rouges.

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