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Les échos & le fil archives yann kerveno

Publié le 20 février 2025 |

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Un ver et contre tous

Ils sont des millions. Sont passés de l’indifférence à l’intérêt le plus soutenu. Qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ? Nous partons à la rencontre des vers de terre. C’est le fil du 20 février 2025.

Photographie : © Yann Kerveno

Qui a vu dans la rue le petit ver tout nu ? La comptine nous apprend que c’est la grue qui l’a vu et qu’une laitue se révélera providentielle (désolé pour le ver d’oreille si la ritournelle vous obsède toute la journée). Dans la pratique, voir des vers de terre implique de regarder au sol puisqu’ils vivent sous nos pieds et sont aujourd’hui au centre de toutes les attentions depuis qu’on connaît leur rôle majeur dans la tenue et la qualité des sols. Que font-ils ? Ils creusent Madame la Marquise, et ce faisant, développent sous terre tout un réseau de galeries qui permettent à l’air et l’eau de s’y engouffrer et de nourrir tout l’écosystème du sol (microbes etc.). Mais pas seulement. Leur rôle semble aussi majeur dans la dissémination des graines, et partant, dans la composition des communautés végétales, écrivent les chercheurs. C’est notamment fort pertinent pour les prairies. Alors pour toutes ces qualités, le ver de terre est devenu l’emblème de l’agriculture de conservation des sols, celle qui préfère (en simplifiant à l’extrême on est d’accord, allez donc voir par-là) le travail silencieux et invisible des vers à celui qui consiste à ficher chaque année une charrue dans le sol.

La terre entière sur le dos

Dans le sol, où le ver se nourrit de bactéries et de matières en décomposition, autant d’éléments qu’il rend au milieu. Il est capable d’engendrer jusqu’à 400 rejetons par an et peut vivre jusqu’à huit ans, s’il trouve, naturellement, à échapper à ses prédateurs qui ne se limitent pas à la grue. Ce sont des mets de choix pour les taupes, les musaraignes, les renards, les oiseaux…Sans parler des reptiles et autres batraciens, en plus de la charrue et de la persistance des produits phytosanitaire dans les sols qui se retrouve largement dans les lombrics… Bref, c’est ce qu’on appelle avoir la terre entière sur le dos ! Et plus encore depuis l’apparition d’un nouveau fléau : les vers à tête de marteau de la famille des bipaliinés qui gobent gastéropodes et vers de terre avec boulimie. Deux espèces de ces vers sont recensées en France pour le moment, alors que cinq ont été introduites hors de la région d’origine (l’Asie) et qu’une autre, Obama Nungara (en provenance d’Amérique latine), semble apprécier le climat et la gastronomie française. C’est là qu’il faut oublier la ritournelle et se plonger dans l’histoire. Vous ne saviez peut-être pas, mais les vers de terre qui nous sont familiers ne connaissaient pas le continent américain avant que les Européens y jettent l’ancre.

Envahisseur

Probablement déposés avec les pierres et la terre qui constituait les ballasts des navires des colons, ils se sont répandus sur le sol américain en bouleversant les équilibres d’alors en quelques décennies (mais les vers ne sont pas les seuls à avoir ainsi conquis ces espaces nouveaux, il y a aussi les rats et les cochenilles qui ont laminé la végétation). Une fois sur place, les vers européens ont phagocyté les feuilles mortes, qui ne se ramassant plus à la pelle, ont privé plusieurs espèces de leur nourriture habituelle. On a parfois, par des raccourcis forcément rapides et/ou hasardeux, l’impression que les vers n’existaient pas du tout sur le sol américain. Une assertion qui fait bondir la Ligue de protection des vers de terre et Christophe Gatineau, qui précise que les vers étaient présents bien avant les colons (juste avant, 508 millions d’années). D’ailleurs une étude récente a trouvé que « les espèces exotiques représentent 23 % des 308 espèces de vers de terre du continent et 12 des 13 espèces de vers de terre les plus répandues. Par comparaison, aux États-Unis, seuls 8 % des espèces de poissons, 6 % des espèces de mammifères et 2 % des insectes et arachnides sont des espèces exotiques. Au Canada, la proportion de vers venus d’ailleurs est trois fois celle des vers locaux. »

Fainéants ? Pas si sûr.

Cela dit, une raison est avancée pour expliquer cette situation : la dernière glaciation, qui aurait conduit à la disparition des espèces locales dans le nord du continent. De quoi faire peser de vraies menaces sur les écosystèmes natifs. Mais aujourd’hui, ce sont tous les vers de terre qui ont du souci à se faire. Pourquoi ? À cause du changement climatique ! Une étude récente visant à dresser la carte du monde des vers a permis de mettre en évidence les facteurs favorisant les populations de vers, les deux principaux étant les précipitations et l’évolution des températures qui sont sujettes aux variations les plus drastiques liées au changement climatique. Et puis finalement, parler des vers de terre, c’est généraliser. Sachez que dans nos sols il en existe trois grandes catégories, les épigées, les endogés et les anéciques (qu’on appelle aussi lombrics) et que dans les terres les plus favorables, il s’en compte entre une et quatre tonnes à l’hectare. Ou 100 à 400 individus au mètre carré. On découvre encore de nouvelles espèces comme tout récemment en Bavière… La légende dit, elle, que si les vers n’ont pas d’os, c’est à cause de leur fainéantise. Mais la légende ne savait pas que 250 000 vers peuvent brasser 600 tonnes de terre par an !

PODCAST A ECOUTER ! Ours, loups, renards, lynx, bouquetins, sangliers, sans parler des oiseaux, insectes et amphibiens… Les habitats de tous ces animaux ont été bouleversés par les activités humaines, de l’agriculture à l’urbanisation en passant par les loisirs. En France, comme ailleurs, les animaux sauvages n’ont plus guère « lieux » d’être. Protégés ou réintroduits pour pallier l’effondrement de la biodiversité, ils continuent de se heurter à des milieux déjà occupés, où leur présence crée de nouveaux conflits de voisinage. Au plus près des humains, des cheptels ou des cultures, ils sont accusés de maints dégâts, attaques et transmissions de maladies. Le sort réservé à ces fauteurs de troubles économiques, politiques et/ou sanitaires ? Bien souvent effarouchements ou abattages. Un constat qui, pour les uns, doit amener à réfléchir à de nouvelles modalités de cohabitation quand d’autres prônent la coexistence voire un éloignement radical, une remise à distance de ces animaux au sein de territoires exclusivement dédiés. Alors, entre présence humaine et faune sauvage, y a-t-il une bonne distance, ni trop proche, ni trop lointaine ?

Table ronde suivie d’un débat avec le public, avec Béatrice KREMER-COCHET, membre du conseil d’administration de l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) et coautrice avec Gilbert Cochet de « L’Europe réensauvagée » (Actes Sud, 2022) ; François MOUTOU, vétérinaire et épidémiologiste, ancien directeur adjoint du
laboratoire Santé animale de l’ANSES ; Ruppert VIMAL, géographe, Université de Toulouse-Jean Jaurès (GEODE-CNRS) et Joëlle ZASK, philosophe et notamment auteure de Zoocities (Premier Parallèle, 2020) et de Face à une bête sauvage (Premier Parallèle, 2021). 

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