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À mots découverts

Publié le 24 octobre 2019 |

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[Loup] Rumeurs d’hybrides ?


Par Raphaël Larrère, ancien directeur de recherche à l’Inra, ancien président du conseil scientifique du parc national du Mercantour de 2006 à 2016.

Prédateur opportuniste, doté de remarquables capacités d’adaptation, le loup s’ingénie à déjouer les prévisions que l’on peut faire à son sujet. Le loup est la bête à discorde en raison de son comportement mais, celui-ci étant imprévisible, il est aussi une occasion rêvée de rumeurs. La première a été celle de sa réintroduction et je voudrais montrer que l’hybridation massive de la population des loups en France en est une autre. 

Les loups réintroduits ?

À peine la présence de loups fut-elle reconnue dans le parc national du Mercantour qu’une rumeur se propagea : une rumeur à laquelle les éleveurs et des élus locaux ont cru (et croient encore) dur comme fer. On eut beau dire que les loups se trouvaient de l’autre côté de la frontière dès la fin des années quatre-vingt… et qu’ils n’allaient pas attendre d’obtenir des visas pour s’introduire en France ; on eut beau expliquer que l’évolution du paysage de l’arrière-pays niçois (avec la déprise agricole et la progression des forêts), les efforts des chasseurs pour maintenir les effectifs des populations d’ongulés et la protection que la zone centrale du parc assurait au gibier offraient aux loups une niche écologique toute prête et qu’ils manqueraient d’autant moins de l’occuper qu’ils se déplacent aisément sur de longues distances ; on eut beau laisser entendre que, sachant parfaitement que la présence des loups serait un sujet de conflit majeur avec les éleveurs, les protecteurs de la faune sauvage et les agents du parc n’allaient pas se précipiter vers les ennuis qui les attendaient en accélérant un retour qu’ils savaient inéluctable… Rien n’y a fait. Et, si rien n’y a fait, c’est qu’en pays niçois, les bergers, les éleveurs, les élus locaux et leur clientèle électorale avaient envie de croire en une réintroduction. Ils tenaient dans cette croyance une occasion incontestable d’exprimer leur hostilité au parc.

Bouquetins, gypaètes…

Cette histoire de la réintroduction tient bien de la rumeur. Une rumeur ressemble à une épidémie. Une idée circule (comme un agent pathogène), on ne sait d’où elle vient ; elle trouve chez des individus un « terrain favorable » et s’implante dans leurs représentations mentales. Du coup ils la transmettent à d’autres individus avec lesquels ils sont en contact. Si ceux-ci sont aussi un « terrain favorable », ils la transmettront à leur tour. Si une rumeur se propage dans un groupe social ou professionnel,
voire au-delà, c’est qu’elle correspond à un désir (ou à des préjugés) partagé(s) par ce groupe social ou largement diffus dans l’ensemble de la société. Autrement dit, la rumeur, si elle était vraie, flatterait les désirs (ou les préjugés) de ceux qui la propagent. Enfin, si elle a un rapport problématique avec la réalité, la rumeur, pour être crédible, doit nécessairement être quelque peu vraisemblable. Or le parc du Mercantour avait déjà pratiqué – à grand renfort de publicité – des réintroductions d’espèces protégées : le bouquetin, puis le gypaète barbu, alors pourquoi pas le loup, espèce protégée à laquelle sont particulièrement attachés certains défenseurs de la faune sauvage ? Quand on était du comté de Nice, pas franchement bien disposé envers ce qui est parachuté de Paris et en délicatesse avec le parc national, il pouvait être d’autant plus tentant de croire en une réintroduction que celle-ci ne paraissait pas invraisemblable.

Mais sur ce qui n’était qu’une rumeur s’est greffée une opération de désinformation. Organisée par des acteurs bien identifiés du monde professionnel agricole, qui sont allés jusqu’à écrire des brochures (et à les signer) destinées à « prouver » que le retour des loups ne pouvait pas être naturel, il s’est bien agi de désinformation, car ceux-là mêmes qui ont surfé sur la rumeur de réintroduction disposaient des moyens de connaître les tribulations des loups en Italie avant qu’ils ne passent la frontière. Ce faisant, ils ont grandement contribué à diffuser dans toutes les Alpes la rumeur issue de l’arrière-pays niçois… et au-delà même des milieux agricoles ou para-agricoles. Des élus nationaux s’en sont faits l’écho et, depuis lors, toute la presse (ou presque), lorsqu’il est question des ravages du loup sur les troupeaux et des manifestations d’éleveurs, écrit « Depuis la réintroduction du loup… » ou « Quand le loup a été réintroduit en Mercantour, en 1993… »1 .

Il n’a pas échappé aux agents de cette désinformation que, si les loups qui provoquent des ravages dans les troupeaux sont issus de réintroductions, il est permis de les éliminer sans risquer de poursuites judiciaires, bien qu’il s’agisse d’une espèce protégée. On est alors passé de la rumeur et du désir de croire à la production d’une croyance infondée, en fonction d’une stratégie politique.

Et si les loups « réintroduits » étaient, en outre, des hybrides ?

On peut considérer que l’idée selon laquelle les loups qui font des ravages dans les troupeaux sont en fait des hybrides de chiens et de louves relève aussi d’une rumeur. Ceux qui y croient manifestent ainsi leur défiance à l’égard de l’ONCFS. À partir des prélèvements de l’Office, les analyses d’ADN effectuées par un laboratoire internationalement reconnu ont certes trouvé des hybrides de première génération, mais ils représenteraient moins de 4 % des effectifs (et 7,5 % pour des hybrides plus anciens). Mais, trop impliqué dans l’élaboration des plans loup, l’ONCFS est soupçonné aussi bien de sous-estimer les effectifs globaux de loups que la proportion d’hybrides… et de cacher une vérité qui obligerait l’État à proposer une élimination plus radicale, voire même à accepter que ces grands prédateurs ne soient plus protégés. Or, l’hybridation est vraisemblable. Chiens et loups sont de la même espèce (on devrait d’ailleurs plutôt parler de métissage que d’hybridation) et donc interféconds. L’ONCFS lui-même a reconnu qu’il y a dans certaines régions italiennes un pourcentage bien plus important d’hybrides (plus de 10 %). Or, les loups qui, aux yeux de certains, « envahissent la France » viennent d’Italie et peuvent donc être hybridés. Enfin cette hybridation expliquerait le « côté sans gêne » de ces loups qui attaquent les troupeaux : issus de chiens ils n’auraient pas trop peur des humains.

Mais, si l’on peut parler d’une rumeur d’hybrides, il s’agit moins d’une authentique rumeur que d’un hybride de rumeur et de la production stratégique d’une croyance. Très tôt, l’hypothèse des hybrides est formulée par des responsables d’organisations professionnelles agricoles, reprise par José Bové, généralement mieux inspiré, et un collectif d’éleveurs et d’élus s’organise pour récolter des échantillons de fragments de loups et les faire analyser par un laboratoire germanique. Il s’agit de jeter le doute sur les analyses de l’ONCFS et de lutter ainsi contre la science instituée avec les armes de la science. C’est une stratégie de production d’ignorance inaugurée par les industriels du tabac et qui, depuis lors, a été largement employée par les climatosceptiques et les producteurs de pesticides2 Par chance pour le collectif, les analyses d’ADN du laboratoire allemand découvrent l’hybridation récente ou ancienne de la totalité des échantillons qui ont pu être analysés – c’est-à-dire d’une minorité d’entre ceux qui ont lui été envoyés, la plupart ayant été inexploitables. Voilà de quoi remettre en cause une « vérité officielle » et mettre en évidence ce que cachent l’Office et l’État !

« Contre-expertise » de Forgen

Dans un document intitulé « Face aux questions sans réponse sur les “loups”, des citoyens structurent une démarche collaborative », la chambre d’agriculture de l’Isère conclut la présentation des résultats de la « contre-expertise » de Forgen en allant au-delà même de la revendication d’éliminer plus de « loups » que ne le prévoit le plan loup. Il faudrait traiter ces hybrides que sont les prétendus loups comme des espèces invasives : « Les individus hybrides causent des dommages identiques à ceux des espèces exotiques envahissantes que les conventions internationales cherchent à éliminer ou à contrôler. » Pourquoi maintenir alors un statut de protection ? C’est sans doute aller un peu vite en besogne car qui peut croire raisonnablement que « tous » les loups sont des hybrides, en dehors de ceux qui ont envie d’y croire ?

En dépit du fait que le laboratoire qui voit des hybrides partout ait refusé d’engager un examen comparatif des méthodes d’analyse qu’il a utilisées avec celles d’Antagene, il y a toutes raisons de supposer que la croyance dans les loups hybrides va perdurer. C’est qu’il y aura nécessairement des gens qui auront toujours envie qu’elle soit vraie. Le désir de croire est le même que celui qui a propagé la rumeur de la réintroduction des loups : l’élimination du prédateur et/ou la fin de ce scandale qu’une sale bête qui nuit aux éleveurs soit protégée par la loi.

On peut enfin se demander quelle raison il y a à se donner tant de mal pour tenter de prouver que nos loups sont des hybrides ? Après tout, qu’ils soient ou non hybridés on ne s’en débarrassera pas. Il faudra bien que l’on invente les moyens, comme je le disais dans mon article précédent3, de faire avec leur présence et leur diffusion. Qu’il s’agisse de loups de pure race ou de métis, les brebis quant à elles ne feront pas la différence.

  1. Même un historien sérieux comme Michel Pastoureau s’y laisse prendre, parlant de réintroduction du loup en France, dans Le Loup. Une histoire culturelle, éditions du Seuil, 2018.
  2. Cf. Mathias Girel, Science et territoires de l’ignorance, Versailles, Quæ, 2017.
  3. Puisqu’il le faudra bien, parviendra-t-on à faire avec les loups ?https://revue-sesame-inra.fr/dossier-loup-puisquil-le-faudra-bien-parviendra-t-on-a-faire-avec-les-loups/​

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