Quand ils arrivent en ville
La périphérie des villes (ses zones pavillonnaires, son urbanisme relâché voire parfois négligé) est une zone de contact avec le monde sauvage, qu’il soit végétal ou animal. Là où la nature s’immisce dans les interstices de l’urbain pour parfois en devenir, on l’a vu à Los Angeles, son talon d’Achille. Sommes-nous vraiment prêts à cette cohabitation ? C’est le fil du mercredi 12 février 2025.
Photographie : © Yann Kerveno
S’il y a bien quelque chose qui marquera la première partie de ce siècle dans nos contrées civilisées, c’est certainement le retour du sauvage en ville. À moins que ce ne soit le contraire. On a vu tout récemment à Los Angeles comment l’interface entre la ville et le monde sauvage, en l’occurrence les zones résidentielles, pouvait se révéler fragile à mesure que le climat change et modifie l’environnement. Sur France Culture, Julie Gacon et Mélanie Chalandon (Culture Monde) y ont consacré une série la semaine passée. Il fut question des villes face aux incendies, aux inondations, aux sécheresses et à l’élévation du niveau des océans. Dans l’Hexagone, à mesure que l’on s’éloigne du cœur de ville, l’urbain à tendance à se déliter, les bâtiments à s’espacer pour laisser plus de place à la végétation, dans les espaces publics ou simplement les jardins qui constituent des espaces « plus désirables » pour les populations qui en ont les moyens… Créant des zones de contact, dans ces « marches » nouvelles, entre l’urbain et le sauvage végétal ou animal. Des espaces où les animaux peuvent appréhender et domestiquer le monde des humains pour aller ensuite plus loin dans les villes. Ours, ratons laveurs, coyotes, sangliers, la liste est longue…
Opportunistes !
C’est là qu’on trouve souvent renards et sangliers attirés par la proximité de nos poubelles, en particulier. Les sangliers justement sont peut-être les meilleurs exemples de cette imbrication nouvelle entre les espaces urbains et la nature. Avec une constante : en marge des zones urbanisées se développent des friches (le plus souvent par pure spéculation foncière en attendant une modification éventuelle des plans d’urbanisme qui viendrait transformer des terres agricoles en terrains constructibles). Ces friches en bordure des constructions offrent gîte et couvert aux sangliers dont le contrôle est rendu difficile par toute une série de contraintes réduisant les zones chassables. Ainsi, à Canet-en-Roussillon, dans les Pyrénées-Orientales, la zone chassable ne couvre que 38 % de la superficie de la commune.
Y’a un loup
Le sanglier est embêtant, certes, mais à part les dégâts aux cultures et les collisions sur la route, il ne présente pour l’humain qu’un risque minime. Ce qui n’est pas le cas du loup dont la peur traverse encore nos sociétés et qui, à la mesure qu’il recolonise la France, fait de fréquentes apparitions en ville. Il n’est donc pas inintéressant de se plonger dans cette vaste étude de 2002 qui s’est penchée sur les attaques de loups sur les humains sur tous les continents où il est présent. Cette étude de cas a permis aux chasseurs de déterminer quatre facteurs associés aux attaques. La rage, qui est le facteur principal, l’accoutumance des loups à la présence humaine, la provocation (des humains contre le loup, chasse ou autre) et enfin les environnements très artificialisés dont ils savent tirer parti (présences d’ordures en grande quantité, enfants sans surveillance ou gardiens seuls de troupeaux). Ils notent au passage qu’une fois avoir goûté à la chair humaine, le loup ne rechigne pas à y revenir. Si la pression du loup fut quasi nulle en Europe au XXe siècle, ils émettent toutefois quelques recommandations dont celle de ne conserver que les loups sauvages, de se débarrasser de ceux accoutumés à l’homme ou ceux soupçonnés d’être enragés.
Du pain sur la planche
Mais, pour l’heure, les concepteurs d’espaces urbains et les aménageurs semblent échouer à mieux intégrer la vie sauvage dans la ville. Une étude récente menée au Royaume-Uni montre par exemple que les engagements pris pour limiter l’impact des constructions ne sont pas tenus. Tout comme manque, dans la tenue des jardins des pavillons, la prise en compte de la vie sauvage alors que ces espaces privés pourraient être de précieux alliés. Mais c’est peut-être là un enjeu à rajouter aux plans d’urbanisme. En plus de construire des villes qui soient à l’abri des catastrophes naturelles il faudra qu’elles soient aussi plus accueillantes pour la vie sauvage. Pas sûr que cela sera une priorité à Los Angeles, mais on doit pouvoir y arriver, à condition de franchir un obstacle, et non des moindres. Car si la présence de ces animaux apparaît exotique aux populations et qu’elle offre un nouveau champ d’enquête pour les chercheurs – on est probablement encore loin du « coexister ensemble » expliquent Amélie Dakouré, Marie Pelé et Jean‑Yves Georges dans un papier récent. « …Si les animaux semblent connaître leurs voisins humains (et en profiter pour trouver abri, chaleur ou nourriture quand ce n’est pas pour éviter la présence humaine), il apparaît moins évident que les humains connaissent les animaux présents sur leur commune » font-ils remarquer. Et c’est peut-être là que la tâche sera la plus ardue : surmonter la perte de connaissances de la nature de tout un chacun provoquée par deux siècles de vie urbaine.
PODCAST A ECOUTER ! Ours, loups, renards, lynx, bouquetins, sangliers, sans parler des oiseaux, insectes et amphibiens… Les habitats de tous ces animaux ont été bouleversés par les activités humaines, de l’agriculture à l’urbanisation en passant par les loisirs. En France, comme ailleurs, les animaux sauvages n’ont plus guère « lieux » d’être. Protégés ou réintroduits pour pallier l’effondrement de la biodiversité, ils continuent de se heurter à des milieux déjà occupés, où leur présence crée de nouveaux conflits de voisinage. Au plus près des humains, des cheptels ou des cultures, ils sont accusés de maints dégâts, attaques et transmissions de maladies. Le sort réservé à ces fauteurs de troubles économiques, politiques et/ou sanitaires ? Bien souvent effarouchements ou abattages. Un constat qui, pour les uns, doit amener à réfléchir à de nouvelles modalités de cohabitation quand d’autres prônent la coexistence voire un éloignement radical, une remise à distance de ces animaux au sein de territoires exclusivement dédiés. Alors, entre présence humaine et faune sauvage, y a-t-il une bonne distance, ni trop proche, ni trop lointaine ?
Table ronde suivie d’un débat avec le public, avec Béatrice KREMER-COCHET, membre du conseil d’administration de l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) et coautrice avec Gilbert Cochet de « L’Europe réensauvagée » (Actes Sud, 2022) ; François MOUTOU, vétérinaire et épidémiologiste, ancien directeur adjoint du
laboratoire Santé animale de l’ANSES ; Ruppert VIMAL, géographe, Université de Toulouse-Jean Jaurès (GEODE-CNRS) et Joëlle ZASK, philosophe et notamment auteure de Zoocities (Premier Parallèle, 2020) et de Face à une bête sauvage (Premier Parallèle, 2021).