Publié le 28 mai 2021 |
0Pays arabes : la main ne doit plus trembler…
Par Yasmine Seghirate El Guerrab1
Alors que dix ans sont passés depuis les soulèvements qualifiés de « printemps arabes » – et que le Covid s’impose au monde comme l’hydre des temps modernes –, il convient de se remémorer les origines rurales et agraires du malaise qui a conduit à ces événements, en n’oubliant pas que les aspirations politiques d’alors avaient comme soubassement la simultanéité de la hausse des prix alimentaires et la détérioration des conditions de vie des plus humbles. Est-il encore utile de rappeler que Mohamed Bouazizi, vingt-sept ans, était le fils d’un ouvrier agricole dépossédé de ses terres hypothéquées ? Qu’il vendait à la sauvette des légumes lorsqu’il s’est immolé par le feu, précipitant à son insu la chute de Ben Ali ?
C’est vrai, la pandémie perturbe la vie des pays arabes – citons seulement les tensions observées dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire – car la plupart de ces pays sont fortement dépendants des importations pour nourrir leur population. Et il est à craindre que le Covid aggrave les disparités existantes. Les dysfonctionnements structurels de l’activité agricole et la constante marginalisation des espaces ruraux arabes risquent bien de faire payer un plus lourd tribut à des communautés déjà vulnérabilisées par la diminution des ressources naturelles, la dégradation de la biodiversité et le changement climatique. Une situation qui risque d’obérer davantage les espérances des plus jeunes.
Précaire, peu rentable, souvent informel,difficile et au statut social dénigré, le travail dans l’agriculture et dans les villes rurales n’attire plus les jeunes depuis longtemps. Dans le même temps, nombre d’entre eux n’ont ni les compétences ni le capital, ni même les terres, pour accéder à des métiers créateurs de valeurs au sens propre comme au sens figuré. Une situation à mettre en perspective avec les taux de chômage des jeunes Arabes parmi les plus élevés au monde. Un paradoxe, diront certains, alors que les secteurs agricoles peinent à recruter et que la question alimentaire refait surface. Faute d’alternative, les jeunes partent pour améliorer leurs conditions de vie et, d’une certaine façon, pour exister.Cette mobilité est essentielle, voire consubstantielle au développement, mais elle génère des tensions dès lors que les zones d’accueil sont elles-mêmes sous pression et que les politiques de migration ne sont pas favorables. Cette situation, qui s’est aggravée avec le Covid, constitue un terreau propice aux contestations et revendications en tout genre.
Alors, comment sortir de cette impasse ? Il faut d’abord faire l’effort de le vouloir. Sciemment écarter les prévisions catastrophistes et les biais misérabilistes pour voir en cette jeunesse rurale une force, sinon la seule force, capable d’impulser une dynamique pour une prospérité et une stabilité partagées. Avec des investissements massifs et déterminés dans l’éducation et la formation d’excellence ainsi que dans les services de qualité « dernière génération », ces jeunes penseront les nouveaux paradigmes alimentaires. Ils donneront corps à ces agricultures climato-résilientes vertes, raisonnées et responsables, et à la souveraineté alimentaire que nous appelons de nos vœux pour bâtir le monde d’après. Des politiques pro-jeunes audacieuses et stratégiques, reposant sur des dynamiques partenariales entre les pouvoirs publics, les acteurs de l’enseignement et de la formation, les organisations de la société civile, les entreprises, les investisseurs ou encore les laboratoires d’innovation et de fabrication, pourraient véritablement changer la donne.