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Croiser le faire

Publié le 5 mai 2017 |

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[Microfermes] Hypermodernité économique

Par Yann Kerveno.

François Léger, enseignant-chercheur à AgroParisTech, s’intéresse depuis longtemps aux agricultures dites « alternatives ». Il livre un regard distancié sur la question des microfermes et les conditions du développement de ce type d’agriculture en France.

Le mouvement des microfermes est-il réellement nouveau ?

Non, il débute dans les années 1970 avec la multiplication d’installations de néoruraux. Le moteur est alors une logique de retrait de la société consumériste. La dimension commerciale est souvent secondaire, voire méprisée. Elle sera prise de plus en plus au sérieux, avec une priorité claire aux circuits courts. Depuis une quinzaine d’années, la question de l’ancrage citoyen se renforce, par exemple avec les Associations pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne (AMAP) ou le mouvement Terres de Liens.

On lie souvent le concept de ces petites fermes avec la permaculture…

La permaculture c’est, au départ, un projet d’écologie sociale : construire une société plus juste en partant d’initiatives respectant les ressources, inspirées du fonctionnement des écosystèmes naturels. En Europe, elle a été surtout portée par des gens visant l’autosuffisance alimentaire et/ou énergétique et on n’a pas beaucoup de références sur la permaculture dans son sens le plus complet. Aujourd’hui, l’écho médiatique la réduit souvent à quelques principes techniques : pas de mécanisation, pas de travail du sol, grande diversité de cultures, attention extrême accordée à de très petites surfaces en production. Les références dont on dispose sur les microfermes correspondent plus au maraîchage biointensif, inspiré d’Eliot Coleman ou de Jean-Martin Fortier. Elles sont parfois posées comme une critique de la génération précédente, ce qui suscite des tensions qui renvoient à des débats entre « radicalité écologique » et « conventionnalisation » dans l’agriculture biologique.

La permaculture, dont le Bec Hellouin est l’emblème, est très médiatisée…

Oui. Elle suscite beaucoup d’intérêt. Mais combien de gens sont prêts à passer du rêve au projet ? Il faut en passer par un BPREA, faire des stages, beaucoup craquent rapidement à cause de la pénibilité du travail. Pour les autres, une fois franchie l’étape de la confrontation au réel et, surtout, de l’accès au foncier, la permaculture est parfois une entrée, puis les gens évoluent jusqu’à trouver leur propre « modèle ». Ces systèmes réclament des compétences que les agronomes ne savent pas forcément bien objectiver. Le conseil agricole classique est perdu, le Web joue un rôle important, mais pas exclusif, dans les nouveaux réseaux où les gens partagent savoirs et outils qui leur permettront d’agir dans une même vision du monde.

Quelles sont les principales causes d’échecs ?

Je vois deux raisons majeures. La première c’est la non-maîtrise agroécologique : on ne comprend pas « comment ça marche » et, du coup, on ne produit pas assez par unité de surface cultivée. La seconde, c’est l’isolement et le manque d’intégration locale : les difficultés commerciales et sociales deviennent alors insurmontables. Un point essentiel est aussi celui de la sobriété : il y a des maraîchers qui résistent parce qu’ils considèrent qu’ils n’ont pas de besoins monétaires supérieurs à 600 € par mois ! En tout état de cause, on ne devient pas riche sur une microferme. Mais les observations que nous avons pu réaliser sur un groupe de fermes plus large montrent que leurs revenus sont équivalents à ceux indiqués dans les préconisations des chambres d’agriculture ou des Grab pour les installations en maraîchage biologique, qui exigent des surfaces et des investissements beaucoup plus importants. Sur le long terme, un autre facteur est celui de la résistance : maraîcher, c’est un boulot physique où on travaille énormément, quel que soit d’ailleurs le système. Une nouveauté qui ressort de nos enquêtes : les maraîchers en microfermes pensent qu’ils ne feront pas forcément ce métier toute leur vie, qu’il est normal de changer d’activité quand on en a fait le tour. Une idée sans doute plus facile à accepter quand on a connu autre chose avant et que les investissements sont limités.

Quelles sont, selon vous, les limites au développement de ces microfermes ?

Sur le territoire français, on pourrait sans doute aller jusqu’à 250 000 très petites fermes, comme le proposent certains. Sauf qu’on ne trouvera peut-être jamais 250 000 candidats « sérieux » à l’installation. Et plus leur nombre augmentera, plus la question de l’accès au foncier et du risque de saturation des débouchés locaux deviendront problématiques. A mon avis, la très petite agriculture de proximité a un réel avenir, parce qu’elle s’inscrit dans une hypermodernité économique où la question du sens écologique et humain est déterminante. Pour autant, son développement impose une recomposition des relations agriculture-société au niveau local. Ce qui est en jeu n’est pas la substitution totale immédiate, mais le remplacement progressif et partiel des modes de production actuels par ce type de systèmes. Cela commence dans les territoires abandonnés par l’agriculture industrielle. Autrefois, c’étaient les Cévennes, aujourd’hui c’est partout, en particulier dans les zones périurbaines ou urbaines où les attentes en matière de redéfinition des systèmes alimentaires sont aussi les plus fortes.




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