L’arbre peut-il cacher la ville ?
S’il est prompt à cacher la forêt, l’arbre est aujourd’hui une des clés de l’adaptation des villes au changement climatique. Clé importante, mais pas miraculeuse car sans surprise, l’écosystème urbain n’est pas forcément celui dont les canopées rêvent dans le secret de leurs ramures. C’est le fil du mercredi 26 mars 2025.
L’arbre est une composante essentielle de nos paysages familiers et imaginaires. Depuis l’aube des temps, la chute de l’homme n’est-elle pas liée au fruit d’un pommier (certes combiné à l’intercession décisive d’un serpent perfide) ? De tout temps il a répondu aux besoins humains, pour construire, se chauffer, au point de voir les forêts réduites à peau de chagrin à l’époque ancienne, grand défrichage aidant pour mettre en culture de nouveaux espaces. C’est ainsi un vaste mouvement de flux et reflux qui traverse l’histoire. Regagnant des espaces à la chute de l’Empire romain, elles couvrent alors environ 30 millions d’hectares en France (3/5e de la surface du pays). Soumise à la pression démographique et l’amplification des besoins, elle va ensuite reculer jusqu’à 14 millions d’hectares (25 %) à la fin du XIVe siècle, date du premier code forestier qui vise à économiser les ressources en bois. Ce qui n’empêche pas les massifs boisés de régresser : en 1820, ils n’occupent plus que 12 % de la surface française. À la faveur de la déprise agricole, mais aussi du changement de regard que la société porte sur la forêt, elle reprend pied aujourd’hui, couvrant 31 % du territoire avec 17 millions d’hectares et un progrès de 85 000 hectares par an. En 40 ans, elle a ainsi gagné 3,4 millions d’hectares.
Une conquête à réaliser
Si les arbres regagnent de l’espace dans le monde rural aujourd’hui, c’est aussi parce que nous vivons de plus en plus nombreux en ville et que d’autres matériaux et énergies ont pris le dessus. Mais nos ligneux ont-ils pour autant réellement droit de cité ? Ils ont longtemps été dessouchés pour faire place à la ville, n’y subsistant que pour des raisons stratégiques (avoir du bois à brûler pour faire cuire le pain en cas de siège) et il faudra attendre la Révolution française, avec les arbres de la liberté, pour qu’ils s’y frayent un chemin. Au XIXe, il devient un outil d’embellissement prisé des élus, les quartiers arborés étant appréciés des citadins qui succomberont, plus tard, à ce qu’Andrée Corvol appelle « la nostalgie rurale ». Pourtant, l’arbre n’est pas vraiment à sa place dans la ville, engoncé dans le bâti, les racines prisonnières sous le manteau des rues. Mais ils sont là. Et sont au cœur de polémiques intenses dans les grandes ou petites villes. Les abattages font notamment la fureur des riverains qui se constituent en comités de défense, on y dédie des politiques spécifiques de développement comme à Paris dans le cadre du verdissement de la ville. Non sans polémique d’ailleurs comme le rappelle Le Monde. Dans la ville lumière, l’ambition était de planter 170 000 arbres le temps de la mandature, « autant que de naissances attendues » mais les critiques pleuvent sur la « politique du chiffre » ou les abattages d’arbres anciens pour permettre de nouveaux aménagements urbains.
Planter n’est peut-être pas la meilleure solution
Si l’attention portée aux arbres urbains est importante aujourd’hui, c’est qu’au-delà d’égayer les perspectives haussmanniennes ou non, les arbres ont un rôle crucial à jouer dans notre adaptation au changement climatique. Même au cœur des villes. Pourquoi ? Parce qu’ils captent du carbone, qu’ils produisent du froid en évapostranpirant et réduisent la température alentour, qu’ils limitent le ruissellement et réduisent la pollution de l’air. Pour autant, planter des arbres en ville n’est pas simple. Si le milieu est a priori propice à leur épanouissement, ils peuvent grandir plus vite (quatre fois !) à cause de la concentration en carbone, ils sont aussi plus fragiles, le taux de mortalité moyen étant deux fois supérieur à celui qu’il est dans une forêt, a conclu une équipe de chercheurs américains à l’issue d’une étude sur les arbres urbains de Boston. Et ces scientifiques d’avancer que, sur le long terme, les plantations ne peuvent « suffire à maintenir ou améliorer le couvert végétal et la biomasse » en raison des caractéristiques propres à la ville. En gros, en plus de planter, il faut aussi prendre soin des arbres. Leurs conclusions montrent aussi qu’au final, la protection des arbres existants, et les actions visant à réduire leur mortalité, peuvent « avoir un impact beaucoup plus important sur la biomasse totale des arbres de rue que la seule augmentation du taux de plantation. » De quoi venir tempérer les ardeurs jardinières des communes ?
Facile à dire, moins à faire !
Imaginer des modes de gestion durable reste toutefois complexe, notamment en raison du manque de connaissances « de la dynamique du carbone des arbres urbains, y compris l’équilibre entre la croissance, la mortalité et les taux de plantation » précisent les chercheurs. Une autre équipe a pourtant tenté de déterminer quelles pourraient être les règles pour réussir, en Australie, le pari de la végétalisation efficace et durable des villes, à hauteur de 40 % de leur superficie, un seuil reconnu (mais discuté) à partir duquel les services écosystémiques sont les plus importants. Un objectif difficile à atteindre dans la plupart des scénarios étudiés (1 372 !) « Les stratégies visant à réduire les pertes nettes d’arbres, à optimiser l’espacement entre les arbres et à mettre en œuvre une conception efficace du paysage sont essentielles pour obtenir un couvert végétal substantiel » écrivent les chercheurs qui mettent aussi en évidence, au-delà de l’action sur le domaine public, l’importance d’agir également sur les terrains privés. Tout en recommandant le recours à une plus grande variété d’arbres dont des espèces exotiques non invasives, pour limiter l’impact des ravageurs, des maladies ou du changement climatique et garantir la durabilité du couvert des arbres en ville. Bref, planter des arbres juste pour planter des arbres ne sert à rien. L’histoire de l’arbre en ville n’en est peut-être qu’à ses balbutiements.