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Les échos & le fil © archives Yann Kerveno

Publié le 19 novembre 2025 |

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Des terres (pas si) rares

On entend aujourd’hui souvent parler des terres rares dans les médias parce que ces matériaux sont au cœur de nos sociétés industrielles et numériques. Quelles sont-elles ? Que font-elles ? Quels sont leurs réseaux ? Sesame ouvre la boîte à questions. C’est le fil du mercredi 19 novembre 2025.

Photographie : © archives Yann Kerveno

Que sont les terres rares ? Alors déjà, deux idées reçues à balayer. La première c’est qu’elles ne sont pas si rares que ça, la deuxième c’est qu’il y a un bail qu’on les connaît puisqu’elles sont décrites depuis le XVIII siècle.

Et il y a fort à parier que le chimiste et minéralogiste Carl Exel Arrhenius n’avait pas idée, tenant cette pierre un peu noire et singulière dans sa main, que sa découverte allait changer (un peu) le cours de l’histoire. D’ailleurs, pourquoi s’appellent-elles « terres » alors que ce sont des métaux ? Visiblement, encore un legs du passé puisque avant la survenue de la chimie moderne les oxydes métalliques étaient appelés terres parce qu’on ne les avait pas encore identifiés comme des métaux. On parlait de terre d’alumine, de terre magnésie ou encore de terre d’yttria (yttrium aujourd’hui). On reviendra plus tard sur ce nom tiré d’un village suédois dont la mine de feldspath a donné pas moins de quatre de ces « terres rares ».

Et pourquoi donc parle-t-on aujourd’hui tant de ces éléments chimiques, ils sont au nombre de 17 et figurent au tableau périodique, on compte 15 lanthanides (qui vont du lanthane au lutécium) auxquels s’ajoutent le scandium et l’yttrium qui se trouvent dans les mêmes types de gisement. Et ce sont leurs propriétés qui les rendent importantes dans notre monde technologique, on les utilise dans les aimants, les produits électroniques, l’industrie de la défense, etc. Ce sont des métaux dits « stratégiques ». Pour vous donner une idée, on utilise l’yttrium dans les tubes cathodiques, les LEDs, les grenats synthétiques…

Leur rareté n’est pas due à leur petite quantité. Paradoxalement, elles sont assez répandues ces terres rares. Les réserves estimées s’élèvent à 88 millions de tonnes concentrées pour une bonne partie dans le sous-sol chinois, voir 100 millions de tonnes pour les estimations les plus récentes liées à de nouvelles découvertes de gisement. La Chine concentre environ 36 % des réserves, en Russie et aux États-Unis. Leur rareté vient en fait de la difficulté qu’il y a à les extraire avec procédés notamment très gourmands en énergie. Et c’est cher ? Ça dépend s’il y a du vent et surtout de la demande multipliée par les qualités intrinsèques du produit. Si certains de ces minéraux ne valent que quelques euros la tonne, pour d’autres, cela se compte en dizaines de milliers d’euros. Ce qui ne manque pas d’attirer la spéculation dans un contexte de forte volatilité géopolitique. Parce s’il est un domaine où politique et économie se rejoignent, c’est bien celui des matières premières. Et qui dit matières premières dit forcément « Chine ».

Cela tombe bien puis que la Chine a profité d’un avantage en nature pour s’imposer comme l’interlocuteur incontournable sur le sujet. Elle assure aujourd’hui 70 % de l’approvisionnement du marché mondial et traite 90 % des minerais grâce aux filières qu’elle a su développer. Imaginez, rien que pour quatre de ces terres rares qui servent à la fabrication d’aimants permanents utilisés dans les moteurs électriques et les éoliennes entre autres, le marché pesait 12,5 milliards de dollars en 2019 et est projeté à 25,7 milliards dans cinq ans. De quoi poser de sérieuses questions quand la souveraineté, un temps oubliée pendant la « mondialisation heureuse » redevient un leitmotiv lancinant. Et chaque pays consommateur tente de se défaire de cette emprise, les États-Unis en tête qui possèdent, pour le coup, des ressources importantes mais pas les moyens de les traiter et investissent en ce sens en tentant de définir de nouvelles alliances. L’Afrique pourrait aussi jouer un rôle important sur ce marché. Des réserves importantes ont été découvertes dans plusieurs pays mais là encore les enjeux sont nombreux, avec notamment le risque néocolonial. La Chine, encore elle, a massivement investi dans les infrastructures minières africaines dans le cadre de son programme « Nouvelles routes de la soie » tandis que l’Europe a lancé un programme de coopération « Africa – Europe Rare earth partnership » L’Europe, fort démunie pour le coup sur le sujet.

Tout récemment, le CNRS s’est penché sur la question, pour constater, mais c’est simple, l’hégémonie chinoise sur le marché, mais aussi pour proposer des pistes. Dans une étude, Il souligne que le risque de dépendance est connu depuis longtemps et que des adaptations sont en cours. Il y a d’abord eu de la substitution, qui dans certains cas n’a fait que déplacer le problème vers une autre ressource « critique » mais remplacer revient le plus souvent, soulignent-ils, à dégrader les performances. Faut de ressources importantes sur son sol, un peu au Groënland et en Suède, l’Europe lorgne donc du côté du recyclage qui ne concerne pour l’instant que 1 % des terres rares employées, « chiffre qui stagne depuis 2010. » Mais une autre piste pourrait se nicher dans les sources secondaires, issues de déchets industriels. Les cendres de charbon pourraient ainsi contenir 11 millions de tonnes de terres rares aux États-Unis, c’est huit fois les réserves du pays. Le graal n’est pourtant pas bas de l’autre côté de la rue. Si les terres rares sont dispersées dans la nature, elles le sont aussi dans nos outils. L’étude du CNRS estime ainsi qu’il faudrait recycler 2 millions de smartphones pour satisfaire les besoins nécessaires à la construction d’une éolienne marine. Rouvrir des mines en surface ? On dira que le contexte et les riverains n’y sont guère favorables et ne reste alors qu’un El Dorado encore mal connu, le fond des océans, mais là encore, le contexte n’est pas favorable la France soutenant un projet de moratoire sur l’exploitation des nodules métalliques reposant sur le fond des océans. Si vous avez besoin de données toutes récentes pour y voir plus clair, vous pouvez plonger dans le Global Critical Minerals outlook 2025 de l’Agence internationale de l’énergie.

Et pour finir donc, revenons donc à Ytterby, paisible commune de l’île de Stockhölm. C’est là qu’en 1787 Carl Exel Arrehnius donc, que nous évoquions au début, découvre un caillou bizarre dans la mine, un truc noir pas vraiment conforme à ce qu’on extrait habituellement de cette mine. Il envoie l’échantillon à un collègue chimiste finlandais, John Gadolin qui y découvre, dans cette gadolinite (le nom du minerai sera donné en hommage au Finlandais), un truc jusque-là inconnu et qu’il nomme yttria. C’est la première d’une série de découverte qui donnera trois autres oxydes découverts durant la seconde moitié du XIXe siècle, le terbia, l’erbia et ytterbia. Ce qui fait d’Ytterbi le seul endroit au monde ayant donné 4 terres rares. Si l’histoire vous intéresse, et le sujet des terres rares plus globalement, plongez donc dans ce fort ouvrage de 484 pages (en anglais et pdf) vous y trouverez tout ce dont vous avez besoin. Paradoxalement, une partie des technologies qui appuient la transition écologique (éoliennes, moteurs électriques) est dépendante des terres rares. Alors la solution passerait, c’est ce qui est prôné, par le recyclage, autour de 1 % des terres rares utilisées sont aujourd’hui recyclées. Mais là encore, ce n’est pas bien simple… Tout comme il est difficile de les extraire et les isoler, il est tout aussi complexe de séparer les terres rares présentes en petite quantité des autres métaux utilisés dans nos outils.

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