Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


De l'eau au moulin

Publié le 18 avril 2019 |

0

[CA-SYS] Associer différents acteurs pour la conception et le pilotage de systèmes agroécologiques (4)

Par Stéphane Cordeau (Inra UMR Agroécologie Dijon) et Violaine Deytieux (Inra UE Domaine d’Epoisses)

Agriculteurs, conseillers agricoles des chambres d’agriculture, d’instituts techniques, de coopératives, chercheurs français, suisse et belge, écoles d’agronomie : de nombreux acteurs ont été associés à la conception de CA-SYS (voir ici). Très tôt, il a semblé évident à l’équipe CA-SYS, que ce projet devait être collaboratif et co-construit avec le monde agricole. Un point sur la méthode, et son intérêt.

Les ateliers de co-conception ont donc permis de mêler diverses expertises et de soulever des points que, seuls, les chercheurs ou les agriculteurs n’auraient pas pu creuser. Cela a permis de construire des systèmes ambitieux dans leurs objectifs, mais réalistes et d’intérêt pour les agriculteurs et conseillers agricoles, pour expérimenter des tentatives qu’ils n’osent pas mettre en pratique car trop risquées, les aider à requestionner leurs systèmes et les accompagner dans la transition agroécologique et l’évolution de l’accompagnement des agriculteurs.

L’UMR Agroécologie et l’UE d’Epoisses s’associent régulièrement pour accueillir des groupes d’agriculteurs ou de conseillers, attirés par des discussions autour des expérimentations au champ et des résultats de la recherche (voir l’article CA-SYS 1 ici). Les échanges lors de ces journées durant l’année 2018 ont permis chaque fois de présenter CA-SYS et de remettre en débat les systèmes de culture, afin de les améliorer sans cesse avec les remarques pertinentes des groupes d’agriculteurs. C’est ça la co-conception.

Des systèmes de culture multi-performants : co-construire la boîte à outils

Une des phases clés des ateliers de co-conception est de co-construire avec les participants une boîte à outils, rassemblant les bonnes idées, éprouvées ou non, que chacun propose. Pour les systèmes de CA-SYS, huit services attendus ont été explorés :

  • Gestion des adventices sans pesticides ;
  • Gestion des maladies sans pesticides ;
  • Gestion des insectes ravageurs sans pesticides ;
  • Gestion des ravageurs (hors insectes) sans pesticides ;
  • Conditions de travail ;
  • Moindre contribution au changement climatique ;
  • Fertilité des sols ;
  • Robustesse économique.

Ces différents services ou performances des systèmes ne sont pas hiérarchisés. Ils servent à constituer la boîte à outils des techniques remobilisables après en atelier pour concevoir concrètement les systèmes de CA-SYS, et à partager un socle commun de connaissances au sein des groupes de travail. L’animation de cette phase sous forme de « world café » contribue également à créer un climat convivial propice aux échanges d’idées. La boîte à outils ainsi obtenue rassemble les bonnes idées de chacun, plus ou moins coûteuses, efficaces, éprouvées, mais qui existent et que l’on peut remobiliser par la suite.

La robustesse économique, par exemple, c’est l’aptitude à rendre un système moins fluctuant en termes de performance économique au cours des années, moins sensible aux aléas climatiques ou aux pressions biotiques, etc. Diversifier les cultures à l’échelle de la ferme (« ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ») est une pratique qui vise à améliorer sa robustesse économique.

Le rendement entre dans la démarche de robustesse économique. L’équipe CA-SYS précise en début d’atelier qu’elle souhaite que ces systèmes aient une productivité et une rentabilité acceptable. Nous avons donc fait des choix de culture en ce sens (blé) et abandonné d’autres espèces (avoine, triticale). De même nous avons choisi des produits dont le prix est élevé : moutarde IGP Bourgogne, orge d’hiver brassicole, blé de qualité panifiable, et réfléchi les conduites des cultures pour atteindre ces objectifs dans un cadre agroécologique.

Dans chaque groupe (1/ systèmes avec travail du sol et 2/ systèmes en semis direct), les experts ont ainsi pu concevoir deux prototypes de système de culture incluant une réflexion sur : les métarègles de conception de la succession culturale (quelles cultures et associations, quelles intercultures ?), les grands principes de gestion des cultures, et leur déclinaisons pour piloter les systèmes.

Ces prototypes de systèmes sont ensuite affinés : les grandes règles de décision (« qu’est ce qui justifie et déclenche une intervention ? ») sont explicitées, comme le choix des variétés et des semences, la gestion des bioagresseurs et la fertilisation, la gestion des résidus de culture. La majeure partie de ces étapes a été réalisée à l’été 2018, même si quelques sujets restent à approfondir ou à revoir (gestion de la fertilité, choix des variétés, etc.).

Innover dans les variétés pour des systèmes agroécologiques

Les variétés et les interactions qu’elles entretiennent avec les micro-organismes, qu’elles soient bénéfiques (bactéries fixatrices ou champignons à mycorhize) ou pathogènes, sont à l’étude dans CA-SYS. Les travaux menés visent aussi à mieux valoriser le potentiel de certaines variétés pour les systèmes agroécologiques. Des équipes de l’UMR Agroécologie cherchent à concevoir et à évaluer des idéotypes de variétés ou de mélanges (variétés, espèces) pour des cultures de rente ou des plantes de couverture, principalement sur les légumineuses.1

Des microbiologistes du sol et phytopathologistes étudient les relations entre la diversité végétale et la diversité microbienne des sols.2 Les études menées portent principalement sur les processus de facilitation, de compétition, de symbiose bactérienne, de symbiose mycorhizienne, en lien avec des fonctions écosystémiques (nutrition des plantes, cycles biogéochimiques, protection des plantes).

Des systèmes sans fertilisation

CA-SYS testera des systèmes non associés à l’élevage, afin de montrer qu’il est possible de faire de l’agroécologie pour des exploitations de grandes cultures sans remettre de l’élevage sur la ferme. Cette démarche est un choix fort, car il est aujourd’hui reconnu que l’élevage sur une exploitation céréalière peut permettre d’atteindre des niveaux de multiperformance intéressants3, avec des cultures à double débouché (ex. maïs fourrage ou grain) et la valorisation des couverts d’interculture par le troupeau, mais aussi d’apporter de la fertilité organique.

Tester des systèmes sans fertilisation, c’est explorer la voie de l’autofertilité, afin de vérifier à quel point on peut compter sur les services rendus par la biodiversité végétale et microbienne des sols (fixation symbiotique des légumineuses, pouvoir mycorhizogène des variétés etc.). Cette idée est venue des agriculteurs présents lors des ateliers de conception, et ça c’est une fierté pour nous chercheurs. Même si certains agriculteurs présents aux ateliers le pratiquent déjà4, c’est un risque que peu d’agriculteurs prennent, surtout dans une agriculture non associée à l’élevage. CA-SYS teste donc un système avec travail du sol sans aucune fertilisation minérale azotée exogène.

Mais dans le cadre d’une collaboration avec l’unité expérimentale de l’Inra de Bourges, un essai miroir de CA-SYS teste l’association avec un élevage ovin sur la plateforme ABY (Agroécologie en Berry)5. Ces deux plateformes de recherche ont pu voir le jour avec le soutien de l’Inra et du plan Ecophyto (projet Dephy ABC « Agroécologie en Bourgogne et Région Centre »).

Conclusion

CA-SYS ne s’est pas fait en un jour. Après 4 années de réflexion, de co-conception, les systèmes sont enfin mis en place depuis l’été 2018. Mais l’étude de la transition vers des systèmes agroécologiques, ainsi que le mode de construction collaboratif de CA-SYS nécessitent du temps. C’est le temps nécessaire pour la conception, la prise de recul et la remise en débat des objectifs. Mais cela garantira l’émergence de prototypes innovants, en rupture, et qui seront support de recherche pour l’INRA et de réflexion pour la profession agricole. Nous sommes des agronomes et attachés à la devise qui dit que « l’agronomie est la science des localités ». L’agroécologie l’est encore plus, car elle repense l’agronomie en interaction avec son environnement, et c’est de fait une science encore plus ancrée dans le local. Nous sommes attachés à dire que ce qui fonctionne ici ne fonctionne peut-être pas là, et que c’est de la méthode qu’on apprendra le plus que des recettes mises en œuvre dans CA-SYS.

Avec d’autres, nous faisons l’hypothèse que l’agroécologie est une solution viable pour répondre aux enjeux de l’agriculture de demain. Et que cette solution n’est possible que si de nombreux acteurs s’impliquent dans cette transition. C’est pourquoi, au-delà de CA-SYS, il est prévu de concevoir et d’étudier une diversité de systèmes agroécologiques (projet Isite A-BFC6) pour que, via un réseau de sites expérimentaux et d’agriculteurs innovants, tous les acteurs s’impliquent dans cette transition de l’agriculture régionale vers l’agroécologie.

  1. https://www6.dijon.inra.fr/umragroecologie/Poles-de-Recherches/determinismes-Genetiques-et-Environnementaux-de-l-Adaptation-des-Plantes
  2. https://www6.dijon.inra.fr/umragroecologie/Poles-de-Recherches/Mecanismes-et-gestions-des-Interactions-Plantes-Microorganismes
  3. https://agriculture.gouv.fr/reduire-les-pesticides-sans-degrader-les-performances-economiques
  4. http://www.fnab.org/images/files/actions/developpement_de_la_bio/com-ferme.pdf
  5. https://twitter.com/CASYSdijon/status/1100234803230769152

  6. https://www6.inra.fr/isite-agroecologie-bfc/




Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Retour en haut ↑