Publié le 21 mai 2019 |
2[Biodiversité] Protégeons les oiseaux des milieux agricoles !
Par Sophie Raspail, responsable de projet Agriculture et Biodiversité, Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO)
Toutes les données indiquent que les oiseaux, ceux des champs en particulier, disparaissent. Que faire ? La LPO se mobilise et lance un programme spécifique en direction des agriculteurs, Des Terres et des Ailes.
En 2004 déjà, ayant observé la régression de certaines espèces d’oiseaux, la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) lançait le programme national Agriculture et Biodiversité avec trois réseaux agricoles (FNAB, FNCIVAM et FARRE). Ce programme engagé pour cinq ans (2004-2009) visait à améliorer la biodiversité sur quelque 130 exploitations, réparties dans dix-huit départements.
Expérimental certes, ce travail a permis de rassembler autour de la table, nationalement et localement, la LPO et ces trois réseaux agricoles. Ils ont pu échanger, travailler sur cette thématique avec les agriculteurs volontaires.
Au sein de ces fermes, les points d’écoute oiseaux1 et les diagnostics réalisés (paysagers, floristiques, amphibiens ou autres) ont permis d’établir un plan de gestion simplifié adapté à chaque lieu et remis à chaque agriculteur, accompagné de la synthèse des diagnostics et des propositions d’actions concrètes à mettre en œuvre. Tous les aménagements/actions préconisés n’ont pas pu voir le jour, mais le travail réalisé sur ces exploitations a permis d’initier des réflexions et des échanges très riches entre les agriculteurs, les environnementalistes et la profession agricole dans un but commun : une agriculture durable et de qualité prenant en compte la biodiversité comme alliée de l’agriculteur.
Il n’a pas été possible de tirer des analyses fines de l’impact des pratiques agricoles sur les peuplements d’oiseaux à partir de ces suivis, les exploitations agricoles engagées étant en nombre insuffisant pour mener une observation statistique robuste, ou trop hétérogènes et atypiques. Par exemple, du fait de l’hétérogénéité des parcelles et de leur localisation, les espèces d’oiseaux contactés dépendaient davantage des milieux non agricoles limitrophes (boisements, cours d’eau, etc.) que de la parcelle en elle-même.
En revanche, ces suivis ont bien été intégrés au niveau local dans les suivis standardisés d’espèces du programme STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN).
Mais aujourd’hui comment passer de ces 130 ou 150 agriculteurs pionniers à une échelle beaucoup plus large et toucher le plus d’agriculteurs possible, au vu du déclin continu de la population d’oiseaux des milieux agricoles et de l’urgence d’agir ? C’est cette réflexion qui a permis d’aboutir au programme Des Terres et des Ailes, lancé fin 2018.
En 2018, un « printemps silencieux »
Au printemps 2018, le MNHN et le CNRS publient respectivement deux études au constat implacable : les oiseaux des campagnes françaises disparaissent à une vitesse vertigineuse. En moyenne, leurs populations se sont réduites d’un tiers en quinze ans et cela s’accélère.
Le STOC met en évidence une diminution, depuis les années 1990, de ceux vivant en milieu agricole (les résultats intermédiaires 2012 étaient déjà connus des naturalistes et chercheurs). Les espèces spécialistes de ces milieux, comme l’alouette des champs, la fauvette grisette ou le bruant ortolan, ont perdu en moyenne un individu sur trois en quinze ans. En 2016 et 2017, le déclin s’intensifie.
Une étude du Centre d’Etudes Biologiques de Chizé2(CEBC-CNRS) menée dans les Deux-Sèvres depuis vingt-trois ans le confirme. L’alouette perd plus d’un individu sur trois (– 35 %) ; avec huit individus disparus sur dix, les perdrix sont presque exterminées. Ce déclin frappe toutes les espèces d’oiseaux en milieu agricole, spécialistes ou généralistes. Or, d’après le STOC, les espèces généralistes ne déclinant pas à l’échelle nationale, la diminution constatée est donc propre au milieu agricole, sans doute en lien avec l’effondrement des insectes.
Cette disparition massive observée à différentes échelles est concomitante à l’intensification des pratiques agricoles au cours de ces vingt-cinq dernières années, plus particulièrement depuis 2008-2009, correspondant à la fin des jachères, la flambée des cours du blé, le suramendement au nitrate, la généralisation des insecticides néonicotinoïdes.
Au printemps 2018, le MNHN « ne veut plus faire silence » : il lance l’alerte sur le déclin des oiseaux en milieu agricole qui s’accélère et atteint un niveau proche de la catastrophe écologique. Le Muséum recommande alors de travailler avec les agriculteurs pour changer les pratiques et infléchir la tendance.
Infléchir la tendance avec tous les agriculteurs
Depuis son lancement, le programme STOC, coordonné par le MNHN et coanimé depuis 2019 avec la LPO, permet d’observer chaque jour un peu plus la régression voire, sur certains territoires, la disparition d’espèces, que l’on pouvait observer ou entendre couramment auparavant. Parmi ces espèces on retrouve par exemple la pie-grièche écorcheur, le bruant ortolan, le tarier des prés. Face au déclin continu des oiseaux des milieux agricoles et, suite à l’expérience acquise lors du programme national précédent, force est de constater qu’il ne faut pas s’arrêter là et qu’il faut travailler sans tarder mais de manière massive, avec tous les agriculteurs.
La LPO a initié le projet Des Terres et des Ailes courant 2016, pour son lancement officiel à l’automne 2018. Les études du MNHN et du CNRS publiées en 2018 ne font malheureusement que confirmer la tendance au déclin que nous avons observé depuis maintenant près d’une trentaine d’années. Ces résultats largement diffusés dans la presse et les médias au niveau national, permettront, espérons-le, une prise de conscience collective et massive de la société et pas uniquement du monde agricole qui peut observer le phénomène de près.
Les agriculteurs sont les premiers, sur leurs terres, à faire le constat qu’« il se passe des choses ». Ils nous le disent. Ils remarquent que les hirondelles ne viennent plus, qu’ils n’entendent plus les chouettes, qu’il y a moins de grenouilles…
Aujourd’hui plus que jamais, il faut agir et travailler avec tous les agriculteurs et les paysans qui le veulent bien, et qui veulent se lancer dans cet élan collectif, sans donner de leçons mais en instaurant un dialogue et en partageant des pratiques favorables à la biodiversité au sein d’un réseau. Mais cet élan doit être massif si on veut voir des changements, des effets positifs sur les milieux agricoles, qui représentent près d’un tiers de la surface de la France.
Avec le programme Des Terres et des Ailes, la LPO n’a pas la prétention de pouvoir tout changer mais elle espère apporter sa pierre à l’édifice en accompagnant, soutenant et valorisant tous les agriculteurs qui souhaitent s’engager dans cette mobilisation collective. Cela leur permettra, non seulement de mettre en valeur le métier d’agriculteur, de paysan, mais aussi de montrer au grand public que certains, et plus qu’on ne croit, agissent pour accueillir la nature, qui peut devenir une aide précieuse pour l’activité agricole et la valorisation du territoire. C’est pourquoi Des Terres et des Ailes propose aux agriculteurs une démarche autonome et anonyme, afin qu’ils se sentent libres de la mettre en œuvre sur leurs fermes, hors de toute pression.
Les actions du programme sont de trois ordres :
- mettre en place, dans les espaces agricoles, des zones et aménagements favorables pour accueillir les oiseaux (et la petite faune), riches en ressource alimentaire ;
- comptabiliser et mettre à jour, chacun, leurs réalisations, pour pouvoir quantifier l’effort collectif ;
- valoriser ces actions à travers des témoignages, des observations, des photos… (de manière anonyme ou non) ou encore des journées « portes ouvertes ».
Les agriculteurs qui disposent déjà d’une flopée d’aménagements ou de pratiques favorables à la biodiversité sur leur ferme – et il y en a – n’auront peut-être pas la possibilité de mettre en place beaucoup d’autres actions. Par contre, ils peuvent participer activement à la partie valorisation de leurs pratiques à travers des témoignages et des retours d’expérience afin que d’autres agriculteurs intéressés puissent s’en inspirer.
Par exemple, des agriculteurs étaient déjà engagés dans le projet « Gestion des campagnols par les rapaces »3. Des nichoirs ont été installés pour la chouette effraie, le faucon crécerelle, la chouette chevêche, en 2017 et en 2018. Certains ont été occupés et ont connu de la reproduction, d’autres non. De 2019 jusqu’en 2022, la Fredon (Fédération Régionale de Défense contre les Organismes Nuisibles) du Loir et Cher va suivre les populations de campagnols, la LPO celle des rapaces, en lien avec la chambre d’agriculture et les agriculteurs.
Depuis les premières mesures agri-environnementales (MAE), la LPO a été appelée à travailler comme expert sur la conservation des zones humides et des oiseaux d’eau, donc en lien avec des problématiques agricoles, et aux côtés des chambres d’agriculture. Il reste des marges de progression, mais l’expérience est acquise.
En grande plaine, la LPO a fait appel aux dons pour sauver les outardes canepetières, l’oiseau qui a connu le déclin le plus spectaculaire en France : la population migratrice a vu ses effectifs de mâles chanteurs chuter de 94 % en quarante ans ! Avec trop peu de prairies engagées en mesures agro-environnementales et de dates de fauche adaptées, les chances de survie de la femelle et de sa nichée (au sol) sont compromises. Un drone sera testé en 2019 pour essayer de localiser des outardes ou des nichées dans les parcelles enherbées afin de pouvoir les protéger des travaux agricoles.
Et chez vous ?
Que faire pour voir à nouveau des hirondelles s’installer dans nos granges à partir du printemps ? Voir revenir les rouges-gorges, les tourterelles ou les hirondelles dans les campagnes ?
L’ambition du programme Des Terres et des Ailes est de proposer à chaque agriculteur d’agir concrètement sur sa ferme, à son échelle, à sa convenance, et dans un élan collectif pour offrir aux espèces qui ont déserté nos campagnes la possibilité de revenir s’installer et à celles qui sont encore présentes, de pouvoir y rester ! Toutes les espèces doivent pouvoir trouver le gîte et le couvert, c’est-à-dire trouver des espaces accueillants et variés pour s’installer, se reproduire, se cacher ou se réfugier mais aussi de quoi se nourrir et nourrir leurs jeunes, en quantité suffisante, en qualité et en diversité.
Des Terres et des Ailes c’est aussi un site internet qui met en avant de nombreuses idées d’aménagements dans un esprit collaboratif, afin que chaque acteur qui souhaite faire un geste puisse trouver les idées, les astuces qui permettront de donner un coup de pouce au retour de la biodiversité dans nos territoires. Chaque aménagement sera ainsi comptabilisé de manière anonyme. Il sera mis en avant, valorisé, si l’agriculteur le souhaite. La LPO met à disposition sur ce même site des fiches d’aménagements afin de guider les agriculteurs qui souhaitent s’engager dans ce programme.
De l’arbre isolé à la mare, en passant par des bâtis agricoles ou des tas de bois, chaque fiche présente les intérêts du lieu d’accueil pour les espèces et l’intérêt que ces espèces peuvent avoir pour les activités agricoles. Des conseils et explications sur le rôle des différents éléments pour la biodiversité sont aussi à découvrir. Ainsi, si un agriculteur souhaite accueillir une ou plusieurs espèces en particulier, il peut choisir l’aménagement adéquat.
Outre les aménagements, les agriculteurs peuvent aussi renseigner leurs pratiques et être curieux d’en tester, par exemple éviter les labours, de ne pas déchaumer après la récolte, réduire au maximum l’utilisation de pesticides et de nitrates, allonger ses rotations, y intégrer des légumineuses, garder des surfaces en herbes non traitées… autant de pratiques qui permettront non seulement de fournir des milieux riches en insectes pour nourrir les adultes et les jeunes mais aussi, de manière globale, permettront d’avoir des milieux riches en biodiversité où les oiseaux et la petite faune pourront vivre, se déplacer, se réfugier et se reproduire, et où se créera un équilibre gagnant-gagnant avec les activités agricoles.
Sur la « carte des réalisations », seuls les aménagements mis en place dans le cadre de ce programme sont comptabilisées sur l’ensemble du territoire français, ainsi que le nombre de contributeurs. Toutes les réalisations sont référencées et peuvent être trouvées en quelques clics.
Les aménagements déjà existants ne sont pas comptabilisés, mais ils peuvent être mis en avant par les agriculteurs pour illustrer et apporter des conseils, astuces et observations aux autres agriculteurs. Les contributeurs auront ainsi l’occasion de s’inspirer de ce qui a été fait ou de tenter quelque chose de différent.
Pour participer au programme, chaque personne engagée dans Des Terres et des Ailes doit s’inscrire sur le site internet www.desterresetdesailes.fr pour permettre le référencement des différents aménagements réalisés. Depuis le lancement du programme en octobre 2018, la LPO dénombre déjà plus de 1 300 aménagements paysagers réalisés, plus de 500 hectares de surfaces enherbées créées et plus de 11 km de haies plantées ! Désormais, la LPO souhaite faire grandir cette mobilisation pour que l’ensemble de nos campagnes puisse accueillir de nouveau les oiseaux et la petite faune, en harmonie avec les activités agricoles qui y trouveront une aide précieuse.
L’APCA soutient cette démarche et s’engage à la faire connaître. Pour Pascal Ferey, vice-président des chambres d’agriculture, « l’agriculture joue un rôle majeur dans l’équilibre des écosystèmes sur notre planète. La diminution des populations d’oiseaux doit nous inquiéter car cette présence joue un rôle primordial dans les grands équilibres de la biodiversité faunistique ».
Les agriculteurs peuvent prendre contact avec la LPO locale pour en savoir plus, être aidés ou conseillés. Les associations locales, avec le concours de bénévoles, peuvent apporter leur appui, voire organiser des chantiers avec les agriculteurs pour les assister par exemple dans la plantation de haies, la création ou la restauration de mares, la confection et la pose de nichoirs, etc.
Le compteur est ici et le bouton participation aussi : https://www.desterresetdesailes.fr/
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Les points d’écoute oiseaux ont été localisés sur les parcelles agricoles : cinq sur l’exploitation et cinq en dehors, sur des parcelles « témoins ». Les suivis ont commencé la 2e année du programme et ont été réalisés pendant trois ans. - voir : https://lejournal.cnrs.fr/articles/ou-sont-passes-les-oiseaux-des-champs
- voir : https://www.lanouvellerepublique.fr/loir-et-cher/cheveches-et-effraies-logees-a-bonne-enseigne
Bonjour,
J’avais déjà subit le matraquage médiatique de la baisse des 30% des oiseaux il y a quelques semaines.
J’ai travaillé en Lorraine et en Pays de la Loire et j’ai suffisamment voyagé en France pour constater la très grande diversité des « milieux agricoles ».
Un minimum d’honnêteté aurait été de préciser quels « milieux agricoles » sont concernés par une baisse des populations d’oiseaux. Les études menées par les divers organismes prestigieux ne permettent-elles pas de différencier les évolutions selon les « milieux agricoles » ?
J’ai du mal à croire que la situation du piémont vosgien (des forêts et des prairies) soit la même que celle du sud Vendée (des céréales, du colza, du maïs irrigué et des haies disparues) ou que celle du plateau des Millevaches (des prairies et des bois) ou que celle des vignobles Bordelais ou encore du marais Breton, etc.
Je me pose la question de l’effet de la proportion cultures/prairies sur les populations d’oiseaux ….
Je me pose également la question de l’effet de l’élevage, en particulier de ruminants, souvent associé à des prairies et des arbres…. a priori bénéfiques aux populations d’oiseaux (encore qu’un bon peuplement de résineux soit passablement silencieux)
D’autant que l’auteure elle-même reconnaît que l’effet de ce qui est autour de la parcelle peut être plus important que l’effet de la parcelle.
Plutôt que 2 pages de publicité pour l’action de la LPO, j’aurais préféré (mais je suis peut-être le seul) 4 ou 6 pages de résultats détaillés signés de plusieurs auteurs de plusieurs organismes (MNHN, INRA, CNRS, …) qui apportent de la profondeur et de la complexité à une info simplifiée par les médias.
Cordialement
Bonjour Philippe, merci pour votre commentaire. L’un n’empêche pas l’autre, Sesame a pour vocation, entre autre, d’être un carrefour. Nous ne nous sommes en effet pas encore penché sur la question des oiseaux, nous le notons. Yann