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À mots découverts

Publié le 28 juin 2018 |

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[Biocontrôle] Gare aux confusions textuelles

Par Lucie Gillot et Valérie Péan (photo Pierre Stengel – INRA)

Le retrait programmé du glyphosate, comme les objectifs du plan Écophyto 2, mettent en exergue la nécessité de trouver d’autres modes de protection des cultures. Parmi eux, la lutte biologique signe son grand retour, sous la dénomination de biocontrôle. Si les atouts et limites de ces produits sont souvent abordés, plus rares sont les questionnements sur les effets de leur récente promotion. Retour sur quelques impensés.

En son temps, la Cellule Environnement de l’Inra avait consacré au sujet plusieurs dossiers, listant ses atouts et ses freins 1. Loin d’être une nouveauté, la lutte biologique aurait commencé, selon certains, avec la domestication du chat par l’homme, aux fins de chasser les rongeurs. Plus sérieusement, expérimentée au XIXe et au début du XXe siècle, elle a été mise à l’arrière-plan face à l’essor triomphant des pesticides de synthèse au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est à la faveur de la prise de conscience des problèmes causés par ces mêmes traitements chimiques sur l’environnement ou la santé humaine que la voie biologique a connu une véritable renaissance à partir des années 70.
Plus près de nous, deux événements auront érigé cette méthode en projet politique : le plan Écophyto et la loi d’orientation agricole. Le premier, dont les objectifs ont été revus récemment, vise à l’horizon 2025 une réduction de 50 % de l’usage des produits phytosanitaires ; la seconde, adoptée en octobre 2014, a introduit plusieurs dispositions visant à encourager et à développer l’utilisation de ce type de solution. S’y ajoute la création d’un consortium de recherche et innovation pour consolider le secteur 2. C’est sur ce terreau que la lutte biologique opère sa renaissance. Sauf que, entre-temps, elle a changé de nom.

Erreurs fréquentes

C’est que, désormais, on ne parle plus guère de lutte biologique mais de biocontrôle. La différence entre les deux ? Elle est subtile et ne se limite pas à des aspects purement techniques. Le biocontrôle désigne un panel de techniques plus large que celles classiquement utilisées en lutte biologique, précise Christian Lannou, chef du département Santé des Plantes et Environnement (SPE-Inra) dont le tiers des effectifs travaille sur ces approches. Il rappelle en outre que le biocontrôle revêt, du fait de son inscription dans la loi d’avenir et le code rural, une dimension plus politique. Mais, explique-t-il, « si vous lisez l’article du code rural, vous verrez que ce n’est pas vraiment une définition, c’est plutôt une catégorisation de produits » (Lire ci-dessous « Lutte biologique et biocontrôle : quelles différences ? »). Il poursuit : « L’inconvénient c’est que l’on met bien des choses là-dedans et que l’on promet beaucoup. Il faut faire attention aux attentes que cela suscite en termes de crédibilité. » Voilà ainsi nommé le principal écueil du biocontrôle : le terme prête à de multiples confusions…
Première source de confusion, la finalité du biocontrôle. « L’idée n’est pas de remplacer la protection chimique par le biocontrôle, prévient C. Lannou. Le biocontrôle est une des méthodes – mais ce n’est pas la seule – pour baisser la dépendance aux pesticides », indique-t-il.

L’agriculteur et ingénieur agronome Valentin Beauval réagit lui aussi : « On croit que la lutte biologique va tout résoudre et nous répétons ainsi une erreur fréquente : le choix d’une voie unique et systématique. » Pour ce membre d’Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières (AVSF), il faut plutôt « avoir une approche globale des systèmes de production, avec des pratiques complémentaires. » Et l’ancien agriculteur aujourd’hui retraité de rappeler que les produits phytosanitaires se déclinent en trois grandes familles : celle des herbicides, d’abord, où les alternatives les plus efficaces à la chimie de synthèse résident dans des pratiques culturales telles que l’allongement des rotations de culture, les couverts végétaux ou encore le binage ; viennent ensuite les fongicides et, là, la mise au point et le choix de variétés résistantes aux champignons demeurent la clé principale ; restent les insecticides, ces produits qui figurent parmi les plus toxiques et les plus préoccupants, tels les fameux néonicotinoïdes. Et c’est justement pour cette famille que la lutte biologique est la plus performante. L’exemple le plus connu ? L’usage des trichogrammes, ces guêpes minuscules qui, en parasitant la pyrale du maïs, offrent une parade naturelle très efficace contre ce ravageur (Lire ci-dessous « Trichogramme : dix ans de lutte larvée »).

Avec, là aussi, des nuances à apporter. D’un côté, le biocontrôle commence à se faire une sérieuse place dans les environnements contrôlés, exemple type les serres. Selon C. Lannou, « en Hollande ou en Espagne, où on utilisait habituellement beaucoup de pesticides, on a désormais recours au biocontrôle. » Reste que, ainsi que l’indique le chercheur, « les surfaces en serres ne représentent que 2 à 3 %. Le grand défi, c’est d’arriver à l’utiliser en cultures ouvertes, sur les productions fruitières et en vigne, grosses consommatrices de pesticides, et sur les grandes cultures. » Voilà pour les enjeux…

Ni ange ni démon

Deuxième source de confusion, liée au terme lui-même, dont le préfixe « bio » renvoie à l’idée d’une agriculture biologique, dépourvue de produits chimiques et de synthèse. Grossière erreur : non seulement le biocontrôle n’a de sens que dans un arsenal d’outils, mais encore il n’exclut pas ipso facto l’usage des produits chimiques.

Voilà un mal bien franco-français que celui d’opérer un cloisonnement systématique des pratiques et des filières. « En France, on est trop dans l’opposition frontale entre le conventionnel et le bio. J’ai beaucoup travaillé en Amérique latine. Là-bas, les penseurs de l’agroécologie, comme Altieri et Gliessman, évoquent plutôt les transitions à opérer. Ils identifient quatre étapes : le conventionnel, des évolutions du conventionnel éliminant les intrants chimiques les plus toxiques, le bio et des approches territoires en lien avec des consommateurs. Chez nous, les intérêts de certaines filières agroindustrielles stérilisent les débats et limitent les évolutions vers des pratiques plus agroécologiques », analyse V. Beauval. Et l’agronome, loin des visions manichéennes, de plaider plutôt pour des approches globales de contrôle des adventices et parasites à différentes échelles (parcelles, ferme, territoire) et bien sûr la lutte intégrée incluant diverses méthodes de lutte biologique, etc.

C’est également ce que pense Jérôme Thibierge, du département Recherche Innovation et Développement de Bioline AgroSciences-groupe InVivo. Pour lui, en termes de méthode de protection des cultures, il n’y a ni ange ni démon : « Ce n’est pas parce que les produits de biocontrôle sont d’origine naturelle qu’ils sont innocents. Et je dirai même que c’est parce que c’est efficace que ce n’est pas innocent. » Le responsable insiste : il convient de distinguer une molécule chimique, capable d’être dégradée dans un milieu, d’un macro ou microorganisme que l’on introduit intentionnellement et qui peut à un moment donné se répliquer et devenir problématique 3. Ce n’est pas l’origine du produit – chimique ou naturel – qui va déterminer sa dangerosité mais bien l’évaluation des risques associés à son usage. « Le choix des uns comme des autres doit s’appuyer sur une évaluation objective garantissant un niveau de sécurité comparable en matière d’effets non intentionnels sur la santé et l’environnement. Il n’y a pas de raison objective pour ne pas accepter de rechercher la meilleure efficacité des programmes de protection multiagresseurs, avec une combinaison de techniques associant mesures prophylactiques, leviers biologiques et leviers chimiques. » Et cet ingénieur de formation de conclure : « Ce qui me soucie, ce sont les dogmes tels que “le naturel est bon, le chimique est mauvais”. »

Où l’on reparle des phytos

Quant à l’évolution du marché du biocontrôle, gare là aussi aux idées préconçues. Longtemps porté par des start-up et de petites entreprises innovantes, il est aujourd’hui largement dominé par les grandes firmes… de produits phytosanitaires ! Il faut dire que la dynamique va dans ce sens. « Si le marché mature des pesticides chimiques ne devrait progresser que de 3 % par an entre 2012 et 2020, celui des solutions de biocontrôle devrait s’accroître au cours de la même période de 15 % par an pour atteindre, en 2020, 8 % du chiffre d’affaires de la protection des cultures », indique le Conseil Général de l’Alimentation, de l’Agriculture et des Espaces Ruraux (CGAAER) dans un solide rapport4sur le sujet.

Mais, là encore, ne nous y trompons pas : ce n’est pas la énième version du « gros » versus les « petits ». Car c’est aussi une question de temps et de moyens dans le développement de ces produits et les entreprises de taille modeste ne peuvent pas l’assumer. Sans entrer dans le détail des réglementations françaises et européennes, précisons en effet que les produits de contrôle n’empruntent pas tous les mêmes circuits d’autorisation pour être mis sur le marché 5. Ainsi, parmi eux, les microorganismes, médiateurs chimiques et substances d’origine naturelle (bioinsecticides, biofongicides) relèvent de la même démarche d’homologation que les produits phytosanitaires et donc de procédures relativement longues, complexes et coûteuses, ce dernier point étant souvent invoqué par les sociétés comme un frein important du développement de ces produits. La conséquence ? Comme le dit Elizabeth Macé, directrice marketing chez Bioline AgroSciences-groupe InVivo : « Toutes les entreprises qui proposaient ou pourraient proposer ces types de solutions nécessitant une homologation ont été rachetées ou seront rachetées par les grands groupes phytosanitaires – Bayer, BASF, Syngenta et autres. Du coup, les marchés sont à présent quelque peu verrouillés. »

En clair, avec le développement du biocontrôle, gare aux malentendus. Non seulement le biocontrôle ne tiendra ses promesses que dans une optique systémique et associée à d’autres méthodes mais encore, faute de clarification, il risque de susciter des désillusions à la hauteur des attentes.

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Lutte biologique et biocontrôle, quelles différences ?

La lutte biologique : utilisation d’organismes vivants appelés « auxiliaires » pour prévenir ou réduire les dégâts causés par des ravageurs ou des bioagresseurs. Ces auxiliaires peuvent être des macroorganismes (insectes, acariens) ou des microorganismes (bactéries, virus). La lutte biologique peut être soit introductive : l’auxiliaire est introduit dans un système biologique dans l’espoir qu’il s’y implante durablement et régule naturellement les populations de bioagresseur, soit inondative : dans ce cas, l’auxiliaire est produit en masse puis épandu sur les cultures pour contrôler le bioagresseur. C’est typiquement la méthode appliquée avec les trichogrammes.

Le biocontrôle : sans doute hérité de l’anglais Biological Control, le terme apparaît véritablement dans la langue française en 2012. Selon le ministère de l’Agriculture, il désigne « l’ensemble des méthodes de protection des végétaux par l’utilisation de mécanismes naturels ». Il se compose de quatre grandes catégories de produits : les macroorganismes (insectes, acariens), les microorganismes (bactéries, virus) tous deux de vieux piliers de la lutte biologique, auxquels s’ajoutent les médiateurs chimiques (phéromones, kairomones) et les substances d’origine naturelle aux effets très divers.

La lutte intégrée : elle n’exclut pas le recours à des pesticides chimiques ; elle en prévoit l’usage bien maîtrisé en l’associant à toutes les techniques permettant de mieux gérer les adventices et parasites au niveau des systèmes de culture.

Sources : entretien avec Christian Lannou (département SPE-Inra) ; Dossiers de l’Environnement de l’Inra n° 5 et n° 19.

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Trichogramme : dix ans de lutte larvée

C’est un peu LA référence en matière de lutte biologique. Fruit d’une collaboration entre l’Inra et le groupe coopératif InVivo initiée à la fin des années 1980, l’histoire du trichogramme est intéressante à plus d’un titre. Commençons par les présentations. Le trichogramme est une petite guêpe parasitoïde de la pyrale du maïs, ce papillon honni des agriculteurs pour les ravages qu’il génère sur les cultures de maïs. Le principe est simple : la guêpe pond dans les œufs de la pyrale et ses larves s’y développent au détriment de l’embryon. Imparable.

Mais trouver l’auxiliaire correspondant au bioagresseur n’est que la première étape de mise en œuvre. Il faut par la suite mettre au point un produit pratique pour les maïsiculteurs, ce qui demande du temps. Jérôme Thibierge (Bioline AgroSciences-groupe InVivo) témoigne du chemin parcouru depuis l’amorce du partenariat avec l’Institut : « Pendant dix ans, il y a eu une gestation pour élaborer un premier produit. Au départ, nous avons créé un produit qui était fortement contraignant pour un agriculteur – on faisait deux à trois applications de trichogramme au cours d’une saison pour couvrir toute la période de culture. Au fur et à mesure, nous avons mieux maîtrisé l’élevage, mis dans le diffuseur plusieurs états de développement de notre trichogramme pour couvrir en une seule application l’ensemble de la période. Par ailleurs, les diffuseurs contiennent également une solution nutritive énergétique permettant aux trichogrammes de s’alimenter dès leur sortie de l’œuf. Ceci renforce leur capacité à se disperser pour rechercher les pontes de pyrale à parasiter. Enfin, nous avons imaginé plusieurs types de diffuseurs [pour répandre le produit, ndlr] avec pour finalité de faciliter l’adoption de cette technologie par l’agriculteur. Aujourd’hui, nous proposons même des diffuseurs adaptés à la mécanisation. » En France, on estime que près d’un hectare de maïs sur quatre recevant une protection insecticide est protégé via le trichogramme. Ce dernier reste « un des rares exemples de développement de biocontrôle sur les grandes cultures, si ce n’est le seul. »

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La petite bête qui monte…

C’est la petite bête qui monte, Harmonia axyridis. Un peu trop même ? Importée de Chine en 1982 par Gabriel Iperti (Inra Antibes), cette coccinelle a toutes les caractéristiques du parfait auxiliaire de lutte biologique contre les pucerons. Voyez plutôt : elle est vorace, engloutit un grand nombre d’espèces de pucerons et possède « un seuil thermique de reprise d’activité » assez bas, ce qui lui permet d’intervenir tôt dans la saison, dès le réveil des pucerons, contrairement à sa cousine européenne plus tardive. D’où l’intérêt que les chercheurs lui ont porté. Introduite dans les années 90, cette espèce s’est révélée presque trop efficace. C’est que notre bestiole a tendance, quand les pucerons viennent à manquer, à se tourner vers d’autres insectes, y compris les œufs de coccinelle. La conséquence ? Aux États-Unis, où elle s’est acclimatée sans trop de mal, elle est devenue une espèce prédominante parmi les coccinellidés. Conscients de ce risque, les chercheurs de l’Inra avaient pris soin de mettre au point une variété dite « sédentaire », incapable de voler, pour limiter, justement, une trop forte dissémination. Las, il semblerait bien, aux dires de certains entomologistes, que la bête a pris son envol, dans tous les sens du terme. Dans nos contrées, la coccinelle européenne accuserait un net recul en Belgique, en Angleterre, en Allemagne et au nord de la Loire, au profit de la coccinelle asiatique. Bref, voilà une bête à bon dieu qui n’a rien d’angélique.


 

  1. La Lutte biologique, A. Fraval, dossier de la Cellule Environnement de l’Inra n° 5, 1993, 238 p. et « La Lutte biologique II », A. Fraval et C. Silvy, dans Dossiers de l’Environnement de l’Inra n° 19, 1999, 274 p.
  2. Voir le communiqué de presse du ministère de l’Agriculture : http://agriculture.gouv.fr/lancement-dun-consortium-de-recherche-et-innovation-pour-consolider-le-secteur-francais-du-biocontrole
  3. Il y a en la matière un exemple souvent cité, même s’il ne fait pas toujours consensus, celui des coccinelles asiatiques. Voir à ce sujet l’article du Monde « La coccinelle asiatique, une alliée devenue envahissante » http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/10/25/la-coccinelle-asiatique-une-alliee-devenue-envahissante_1781092_1650684.html
  4. Les produits de biocontrôle pour la protection des cultures, rapport n° 16055 du CGAAER, janvier 2017.
  5. Pour avoir plus de détails sur cet aspect, on peut notamment consulter le Guide pédagogique « Procédures réglementaires applicables aux produits de biocontrôle », ministère de l’Agriculture, collection Écophyto http://agriculture.gouv.fr/guide-pedagogique-procedures-reglementaires-applicables-aux-produits-de-biocontrole

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One Response to [Biocontrôle] Gare aux confusions textuelles

  1. Lemaire dit :

    Précisions bienvenues.

    Dans le même registre de confusion : intégré signifie anciennement que la producteur n’apporte que le bâtiment et son travail, un intégrateur fournissant les intrants et récupérant les produits.
    Un terme pris négativement par les éleveurs, dans l’Ouest particulièrement.
    L’intégré dont vous parlez n’a aucun rapport.
    Choix malheureux d’une région plus cultures qu’élevage.

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