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De l'eau au moulin

Publié le 5 décembre 2018 |

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[AgrInnov] Enfin le sol sous surveillance (1)

Dans un contexte agricole en pleine mutation, il est essentiel de se doter d’outils de surveillance de la qualité du sol, qui permettent d’appréhender l’impact des pratiques (labour, pesticides, rotation, fertilisation) sur son fonctionnement biologique, et les services qu’il rend pour la production agricole. C’était l’objet du projet AgrInnov (Casdar 2012-2015, voir Cannavacciulo et al.) qui a coconstruit ces outils de manière participative avec des agriculteurs. Avancée significative en termes techniques, scientifiques et opérationnels, la démarche se prolonge aujourd’hui avec le Réseau d’Expérimentation et de Veille à l’innovation Agricole (REVA).

 Par Lionel Ranjard, Directeur de recherches, Inra, UMR Agroécologie
Elisabeth d’Oiron, présidente de l’Observatoire Français des Sols Vivants (OFSV)

 

Le rôle fondamental des organismes vivants dans le sol

Le pilotage de la qualité des sols au sein des systèmes de production agricole français est historiquement basé sur un suivi des caractéristiques physiques (état structural, etc.) et chimiques (pH, réserve en N, P, K, quantité et type de matière organique, etc.). Or, les organismes vivants du sol jouent un rôle fondamental dans son fonctionnement (fertilité biologique1, état sanitaire, dégradation des polluants) et donc pour les productions agricoles.

Le concept d’assurance écologique2 démontre une relation positive entre la biodiversité et la productivité primaire ainsi qu’entre la biodiversité et la stabilité (durabilité) des écosystèmes (Loreau et al., 2000). Par ailleurs, le sol représente la 3e frontière biotique3 grâce à sa biodiversité qui correspond à 25% de la biodiversité totale (Maron et al., 2011). Parmi les organismes du sol, les macroorganismes sont considérés comme des ingénieurs de l’écosystème ; ils vont conditionner le biotope des autres organismes de la faune et les microorganismes, modifiant ainsi les cycles biogéochimiques (Barot et al., 2007). De leur côté, microorganismes représentent les organismes les plus diversifiés, d’un point de vue taxonomique et fonctionnel (Bouchez et al., 2017), et sont les acteurs clés de la plupart des cycles biogéochimiques. Entre les deux, la microfaune et la mésofaune jouent un rôle complémentaire dans l’évolution de la matière organique et les cycles des nutriments (Cortet et al., 1999).

On l’aura compris, les organismes vivants du sol (faune du sol, bactéries, champignons) jouent un rôle fondamental dans son fonctionnement : dynamique des matières organiques et cycle du carbone et de l’azote, biodisponibilité des éléments nutritifs, dégradation de polluants organiques, rétention de polluants métalliques, action sur la structure des sols, etc. Ces communautés biologiques sont susceptibles de révéler l’ensemble des stress environnementaux de leur milieu et la précocité de leurs réactions les désigne comme de bons indicateurs de l’évolution des sols (Bouchez et al., 2017).

Agriculteurs et chercheurs, ensemble

AgrInnov avait pour objet d’élaborer de manière collaborative des outils pour mieux saisir la qualité des sols. Un tableau de bord des indicateurs analytiques de la qualité biologique des sols agricoles, permettant aux agriculteurs d’appréhender l’impact de leurs pratiques, a été élaboré et validé en faisant travailler ensemble chercheurs et agriculteurs. Lors des rencontres, les experts scientifiques, les chercheurs et les formateurs avaient en charge de développer des outils et des moyens adaptés aux besoins des experts en agriculture, les agriculteurs partenaires du projet.

Formation, échantillonnage, restitution de résultats… De nombreuses phases interactives ont été organisées afin que les agriculteurs identifient eux-mêmes les outils les plus opérationnels pour leur travail et les pratiques agricoles les plus éco-efficientes.

Les groupes d’agriculteurs, constitués de volontaires, se sont montrés critiques et structurants lors de la mise en place de la formation sur la biologie des sols agricoles afin qu’elle corresponde au mieux aux attentes de la profession. Par exemple, ils ont éliminé du tableau de bord les indicateurs les moins opérationnels, de même qu’ils ont fait évoluer certaines techniques d’échantillonnage de terrain (combinaison de test-bêche4 et de piégeage de vers de terre) pour qu’elles soient plus pratiques tout en préservant leur qualité scientifique.

Enfin, loin d’une formation magistrale et scientifique sur le mode d’élaboration des outils, les agriculteurs attendaient un accompagnement opérationnel et technique sur la manière de s’en servir pour atteindre le résultat attendu : piloter les pratiques pour réduire l’impact sur le sol et assurer la durabilité des productions.

Des indicateurs biologiques de la qualité du sol

Parmi les indicateurs biologiques de la qualité du sol qui ont été validés par la recherche et mis à disposition des agriculteurs, quinze indicateurs élémentaires ont été sélectionnés pour constituer le tableau de bord analytique AgrInnov. La liste finale est la suivante :

– Abondance lombricienne totale
– Abondance des quatre groupes fonctionnels de lombriciens (épigé, épi-anécique, anécique, endogé – voir clé d’identification de l’OPVT en cliquant ici)
– Diversité et structure taxonomiques des communautés lombriciennes
– Biomasse moléculaire microbienne
– Rapport densité des champignons/densité des bactéries
– Diversité taxonomique des bactéries et des champignons
– Abondance des nématodes libres
– Diversité taxonomique des nématodes
– Abondance des nématodes phytoparasites
– Indice de structure5
des nématodes
– Indice d‘enrichissement6 des nématodes
– Structure du sol (par un test-bêche)
– Caractéristiques physicochimiques des sols
– Teneur en polluants métalliques (Cu, Ni, Pb…)
– Dégradation de la matière organique (par la méthode du litter bag7).

Il a donc été développé un véritable diagnostic de la qualité biologique et agronomique des sols agricoles.

Des indicateurs de synthèse

Les indicateurs de synthèse ont été créés dans le projet AgrInnov suite à une demande forte des agriculteurs qui voulaient une lecture plus simple, rapide et opérationnelle du diagnostic de la qualité biologique des sols de leur parcelle. Ils combinent les valeurs issues d’indicateurs élémentaires complémentaires dont l’assemblage permet la caractérisation et le diagnostic agronomique de grandes fonctions du sol, comme le patrimoine biologique / assurance écologique, et la fertilité biologique.

Tous les indicateurs sont synthétisés dans des tableaux de bord individuels, à partir d’une application créée à cet effet et reliée à la base de données DATASOL qui centralise les résultats de tous les laboratoires partenaires.

A ce jour, ils sont gérés par l’Observatoire Français des Sols Vivants (OFSV) qui en détient les règles de calcul.

Simple comme une analyse de sang

L’agriculteur reçoit donc des documents de résultats organisés suivant le principe de nos analyses de sang. Les valeurs mesurées de leurs sols sont rapprochées de seuils d’alerte et de fourchettes et/ou planchers d’optimum. Elles sont aussi rapprochées de la valeur médiane du référentiel d’interprétation. De cette manière chacun peut se situer par rapport à des repères « écologiques » (les alertes et les optimum) et relativement à « ce que font les autres ». Chacun peut donc constater objectivement son potentiel de progrès et ses priorités d’amélioration.

Chacun a ainsi accès à un véritable outil de diagnostic de la qualité biologique et agronomique des sols agricoles.

Accompagner le transfert des outils

Les formations dispensées aux agriculteurs et conseillers participants comprenaient trois phases : (i) mieux connaître la vie biologique des sols (formation théorique en salle) et les indicateurs retenus, (ii) prélever les échantillons, et (iii) savoir interpréter ses résultats par rapport à un référentiel et comprendre les variations observées.

L’ensemble « tableau de bord et formation » a été déployé sur le réseau AgrInnov, constitué de fermes agricoles en grande culture (125) et en viticulture (123).

Chacun des 248 agriculteurs et viticulteurs volontaires, en France (quarts Nord-Est, Sud-Est et Sud-Ouest) ont échantillonné une parcelle et suivi une formation. 240 ont échantillonné de façon rigoureuse leur sol : 97% ont donc adhéré au projet jusqu’au bout.

Les enquêtes de satisfaction ont montré le réel intérêt des acteurs du monde agricole à disposer d’outils de diagnostic afin d’évaluer l’impact de leurs pratiques et la durabilité de leur production. Il est donc pertinent de diffuser ces outils et ces nouveaux concepts.

Une enquête menée un an après la fin du projet AgrInnov a montré que 60% des agriculteurs et viticulteurs du réseau avaient commencé à changer leur pratique sur la base du diagnostic et de l’expertise développés dans AgrInnov. Ceci démontre qu’une approche participative basée sur la sensibilisation et l’appropriation est une stratégie qui marche pour une transition (agroécologique).

Aujourd’hui, les outils nés d’AgrInnov, guide d’échantillonnage, indicateurs, référentiel d’interprétation, test-bêche, litter bag, formations, etc. sont mis à disposition des adhérents de l’OFSV à travers le REVA, pour une dernière phase capitale de validation. Il s’agit de vérifier l’efficacité de ces outils quand ils sont utilisés en routine. Les agriculteurs changent-ils leurs pratiques, si oui dans quelles proportions, à quelle échéance, et comment l’impact sur les sols évolue-t-il ? A suivre…

Références bibliographiques

 

 

 

 

 

  1. Recyclage des éléments minéraux et amélioration de la structure du sol par l’activité biologique
  2. La biodiversité d’un écosystème est le garant de sa stabilité et de sa productivité
  3. Le sol est le 3e plus important réservoir de biodiversité de notre planète
  4. Le test-bêche consiste à prélever un volume de terre correspondant à la largeur d’une bêche, soit un carré de 20 cm de côté sur 20 cm de profondeur, de le déposer sur une bâche et d’observer la structure des mottes, de : « plus ou moins grumeleuse et poreuse » à : « lisse et peu poreuse », ce qui traduit un phénomène de tassement du sol
  5. Cet indice reflète la stabilité du milieu et la complexité de la microchaîne trophique des organismes du sol
  6. Renseigne sur la disponibilité en éléments nutritifs du milieu
  7. Ce test consiste à enterrer à dix centimètres de profondeur un sachet en nylon de maille 1 mm contenant de la paille. Quatre mois après, on le déterre. Le rapport poids initial/poids restant est un indicateur de la minéralisation et de l’activité du sol : dans un sol fonctionnant bien, plus de 50% de la matière initiale est dégradée

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