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Les échos & le fil © archives Yann Kerveno.

Publié le 12 novembre 2025 |

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Une vache de maladie

Comme la vache folle en son temps, la dermatose nodulaire bovine et sa gestion par les autorités sanitaires bousculent la société. Et pour cause ! Le sujet est aussi complexe qu’un mille-feuilles, au point que chacun peut y mettre, voir, ce qu’il veut. Alors qu’en est-il ? Sesame a tiré le fil le 12 novembre 2025.

Photographie : © archives Yann Kerveno.

Parce que chaque épidémie ou zoonose vient aujourd’hui enfiévrer les croyances d’une partie de nos sociétés, il n’est pas inutile de prendre un peu de recul pour comprendre ce qui se passe. Dernier cas en date, la Dermatose Nodulaire Contagieuse (DNC) et la contrainte d’abattage des unités épidémiologiques (à savoir tous les animaux qui ont été en contact rapproché avec l’animal détecté porteur de la maladie). Obligation qui renvoie immanquablement aux dépeuplements des élevages par abattage de la crise de l’Encéphalopathie spongiforme bovine (dite aussi maladie de la vache folle) et aux hésitations des autorités d’alors face à une maladie inconnue. Ce que n’est pas la DNC, même si les polémiques et incompréhensions sont nombreuses.

De quoi parle-t-on ?

Cette maladie, endémique notamment sur le continent africain, ne concerne que les bovins et est propagée par des insectes piqueurs (hématophages, moustiques, taon, tiques). C’est la principale voie de contamination reconnue à ce jour, la contamination par contact direct entre animaux pouvant « jouer un rôle mineur » mais l’organisation de la santé animale estime que « l’apparition de nouvelles souches recombinées » suggère l’existence d’autres voies, salive, eau… Le virus en cause fait partie de la famille des Poxvirus (qui provoquent la variole sur les ovins, on l’appelle la Clavelée dans ce cas, et les caprins). Elle se traduit par l’apparition de boutons sur la peau des animaux, des lésions dans la gueule, des baisses de production sensibles (notamment pour le lait), de la perte de poids et des atteintes au cuir. La période d’incubation dure de deux à quatre semaines. Initialement cantonnée à l’Afrique subsaharienne, la maladie est présente en Europe depuis une dizaine d’années, un premier foyer avait été contenu en Grèce, en Bulgarie et dans les Balkans entre 2015 et 2017. Vous avez tout là bien résumé sur le site de l’ANSES.

Vaches vs zébus

Il semble aujourd’hui que les bovins européens, Bos Taurus, sont plus sensibles face à la maladie que leurs cousins Bos Indicus (les zébus). Par ailleurs, les veaux et les vaches en lactation présentent une plus grande fragilité. Selon une note synthétique du centre de sécurité alimentaire et santé public de l’Iowa, les taux de morbidité et de mortalité enregistrés varient fortement selon les contextes. « Pendant la période où la dermatose nodulaire contagieuse était principalement confinée à l’Afrique, les estimations de morbidité se situaient souvent autour de 2 à 20 % et les taux de mortalité de l’ordre de 1 à 10 %. La morbidité était inférieure à 30 %, et parfois bien plus faible, lors de certaines des récentes épidémies en Europe et en Asie, et la mortalité était inférieure à 1 % dans de nombreuses régions, bien que des taux plus élevés aient également été observés. » Les vaches malades qui survivent peuvent très bien se remettre du passage du virus.

Un peu d’histoire

La dermatose nodulaire (Lumpy Skin Disease ou LSD en anglais) a été décrite pour la première fois en Zambie en 1929, puis a débordé vers le Bostwana en 1943 avant d’entrer en Afrique du Sud. Elle apparaît au Kenya en 1957,  poursuit son extension vers le Soudan, le Nigéria, la Mauritanie, le Ghana et se trouve signalée pour la première fois au nord du Saharaen Égypte et Israël en 1988 et 1989. Dans les Balkans, près de 2000 foyers avaient été enregistrés entre 2015 et 2017, la maladie étant entrée sur le continent européen par le Moyen-Orient, et notamment la Turquie qui, en raison du type de vaccins utilisé (un vaccin hétérologue, donc fabriqué à partir d’un agent pathogène différent de celui de la maladie), n’est pas parvenue à contenir l’extension de la maladie. 2,5 millions d’animaux avaient été vaccinés dans la sphère européenne à l’époque (avec un vaccin homologue, cette fois). La DNC a ensuite fait son apparition en Afrique du Nord en 2023. Et son retour en Europe date de la fin du printemps 2025, d’abord en Sardaigne le 20 juin, puis en Italie continentale le 25 juin (par un mouvement d’un animal issu du premier troupeau  concerné par un cas en Sardaigne. Les autorités italiennes estiment que la contamination a pu se faire, comme pour la fièvre catarrhale, par une vague de vecteurs hématophages. En France, le premier foyer a été détecté le 23 juin dernier en Savoie avant de s’étendre aux départements voisins, ou pas, jusque dans le Jura et dans les Pyrénées-Orientales (le 13 octobre). À ce jour (12 novembre 2025) 97 foyers ont été recensés en France qui concernent 66 élevages. Des cas ont aussi été détectés en Espagne, non loin de la frontière française catalane, le 1er octobre. Selon les analyses réalisées, la souche qui circule en Italie, en Sardaigne et en France est identique (je n’ai pas à ce jour trouvé d’indications sur l’origine de la source qui circule en Catalogne).

La riposte

La DNC est classée en catégorie A par les autorités sanitaires européennes. C’est dans cette catégorie que sont regroupées les pathologies animales les plus graves. Elles ont en commun d’être « exotiques » sur le continent, sont très contagieuses et ont un impact sanitaire et/ou économique majeur. C’est le cas de la fièvre aphteuse, de la peste porcine africaine et donc de la DNC, entre autres. Tout ceci figure dans l’Animal Health Law européenne de 2016 qui précise que ces maladies doivent être éradiquées. La riposte à l’éclosion d’un foyer est encadrée et comprend la notification immédiate, l’isolement et l’interdiction des mouvements d’animaux, le déclenchement d’une enquête épidémiologique, l’abattage sanitaire des animaux infectés ou potentiellement exposés (les fameuses « unités épidémiologiques »), l’établissement de zones de surveillance et de protection (au diamètre variable selon les pathologies). La vaccination, en dernier lieu, en urgence, sur autorisation et contrôlée par l’UE. La vaccination systématique n’est pas retenue pour plusieurs raisons par la doctrine européenne. La première, c’est la préservation du statut « indemne » qui permet une plus grande souplesse dans les échanges commerciaux. La seconde, c’est que si la vaccination réduit la charge virale en circulation et protège des animaux, elle ne permet pas de dire si le virus est éradiqué ou non. Ce qui renvoie au point précédent. En revanche, dans les pays où la maladie est endémique, on vaccine systématiquement.

Vaccination systématique

C’est le cas en Turquie, en Israël, en Égypte, en Jordanie, en Afrique subsaharienne (Kenya, Éthiopie, Soudan, Nigeria…) et jusqu’en Asie. Si le recours à la vaccination dans ces pays reste d’actualité, c’est que l’immunité naturelle acquise par les bovins infectés, parfois solide et pouvant durer plusieurs années, est très inégale et ne concerne pas les veaux. D’ailleurs, l’organisation mondiale de la santé animale recommande une vaccination des animaux infectés même après guérison « parce que la durée de l’immunité n’est pas connue avec précision » (page 7). Toutefois, l’évolution liée au changement climatique notamment et l’extension des « maladies à vecteurs » (DNC, Maladie hémorragique épizootique, Fièvre catarrhale) ont un peu fait évoluer le cadre de la vaccination d’urgence qui peut maintenant, dans certaines zones, être réalisée de façon saisonnière. Et c’est peut-être l’enseignement qu’il faudra tirer dans nos contrées de l’apparition de cette nouvelle maladie, sachant que le changement climatique favorise (on le sait depuis longtemps) la progression des vecteurs venus du sud vers le nord et que les hivers moins rigoureux leur laissent une plage plus grande dans l’année pour infecter les troupeaux. De quoi remettre sur le métier l’approche des politiques de santé animale ?

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Ce fil de la revue Sesame est le 250e du genre. 250e d’une série entamée le 19 janvier 2019 sur twitter (X aujourd’hui) avec pour premier sujet « Brexit : quelles conséquences pour l’agriculture européenne ? »

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