Croiser le faire

Published on 19 novembre 2020 |

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[Territoires en transition] Tel maire tel village

Par Stéphane Thépot

Agriculteur installé depuis 1984 à Lagraulet (Gers), Nicolas Méliet a converti la ferme familiale à l’agriculture biologique en 1992. Mais il a aussi imposé au forceps, en six mois seulement, des repas 100 % bio à la cantine scolaire de son village de Gascogne. Réélu maire pour un quatrième mandat en mars dernier, ce solide gaillard à la carrure de rugbyman est un fonceur. Il gère le bourg de 600 habitants du canton d’Armagnac-Ténarèze à la manière de Bio Gascogne, son entreprise de travaux agricoles spécialisée dans les grandes cultures bio, qui encadre la production d’une trentaine de fermes dans le Gers et les départements voisins des Landes et du Lot-et-Garonne sur plusieurs milliers d’hectares de grandes cultures. Si Nicolas Méliet surfe professionnellement sur la niche du « sans gluten », il avoue personnellement ne pas vouloir renoncer à « une bonne côte de bœuf ».

Bio mais pas écolo

« Je suis bio mais surtout pas écolo », précise ce personnage aussi haut en couleur que le château d’eau décoré d’une fresque colorée et reconverti en gîte rural de la commune. Lagraulet est la dernière marque de fabrique « labellisée » par Nicolas Méliet, et la mairie son nouveau siège social. Élu en 2001, il a commencé par rapatrier la mairie au centre du bourg, transfiguré au fil de ses mandats au point de prendre l’allure d’un petit « club Med » transposé dans les coteaux de Gascogne, en dehors des grands flux touristiques. Un gîte de sept chambres a été aménagé sur deux étages dans une grande maison voisine, un autre bâtiment récemment rénové accueille depuis octobre dernier un cabinet d’infirmières et une dizaine de professions paramédicales (kinésithérapie, ostéopathie, naturopathie, etc.) qui viennent donner quelques consultations toutes les semaines en s’acquittant d’un loyer horaire (25 €/jour) à la manière des espaces de coworking fleurissant dans les centres urbains. Pour ce chantier mené à terme en moins de deux ans, il a fallu un peu forcer la main de la préfecture et de l’Agence régionale de santé, qui tentent de mailler le territoire du département en « maisons de santé » pour lutter contre les déserts médicaux. « Mon idée cachée c’est d’attirer maintenant un médecin généraliste », concède le madré promoteur de cette « maison des médecines douces », baptisée « Naturopole ».

Trouver le mouton à cinq pattes

Le prochain projet du maire entrepreneur de Lagraulet est de confier la salle des fêtes en gérance à un restaurateur pour y développer une sorte de café-restaurant municipal. Une mini concession de service public-privé qui ne dit pas son nom. « La salle des fêtes n’est utilisée que trois fois par an, je préfère la louer pour avoir de l’activité à l’année », plaide Nicolas Méliet. L’élu a passé une petite annonce cet été pour recruter un cuisinier sur le site Un plus Bio, réseau national qui milite pour des cantines bio et locales. « J’ai reçu vingt-cinq CV de toute la France en un mois », se félicite le maire de Lagraulet. Nicolas Méliet cherchait à remplacer la jeune cantinière qui prépare les repas des quarante enfants de l’école et de quelques anciens du village qui peuvent déjeuner à la cantine pour huit euros. « Je ne peux pas payer plus qu’un petit mi-temps de vingt-huit heures par semaine, je cherche le mouton à cinq pattes », confie le maire, qui espérait trouver un(e) candidat(e) avec « l’esprit start-up » pour développer une activité de restauration permanente à Lagraulet, en plus de la cantine. La commune dispose déjà de la cuisine flambant neuve, labellisée par Écocert et offre des facilités pour le logement. Il a finalement arrêté son choix sur Laurence, une ancienne restauratrice gersoise de cinquante-sept ans, qui arrivera de Perpignan.

Mousquetaire du bio

Nicolas Méliet a procédé sensiblement de la même façon pour recruter, sans même passer d’annonce, un « maraîcher municipal ». Il raconte avoir acheté une ferme en 2019 pour produire en direct les légumes servis à la cantine. « Les petits producteurs préfèrent aller vendre leurs légumes plus cher au marché, et les gros ne s’intéressent pas à une petite commune comme Lagraulet », explique le maire. Il a donc embauché un jeune du coin en tant qu’« agent technique », mais en stipulant sur son contrat qu’il devrait faire l’agriculteur. Bio, naturellement. « Je trouve ça plus intelligent que de dépenser de l’argent public pour arroser des fleurs sur des ronds-points », balance le mousquetaire du bio. Employé polyvalent, Sébastien conduit aussi le bus de ramassage scolaire et montre aux enfants comment poussent les légumes. Le « potager municipal » en régie directe de Lagraulet a tapé dans l’œil de plusieurs médias qui ont raconté l’histoire. « Cela a fait le buzz, mais ce n’est pas la finalité », assure Nicolas Méliet, qui vise méthodiquement à créer une filière cohérente de bio en circuit court, de la ferme à l’assiette.

Le maire de Lagraulet espérait initialement convaincre les élus de la communauté de communes de la Ténarèze (vingt-six communes autour de Condom, 15 000 habitants) de le suivre dans son entreprise. « J’avais loué un bus à Agen pour aller voir comment ils font à Mouans-Sartoux », raconte Nicolas Méliet. L’agriculteur bio gersois avait entendu parler par son réseau professionnel de la régie agricole mise en place par cette commune pionnière des Alpes-Maritimes. Mais aucun des maires qui se disaient intéressés ne s’est présenté pour faire le voyage, rapporte l’élu, dépité. « Je n’ai eu que deux adjoints et quelques techniciens ». Une déception qui nourrit sa défiance envers le personnel politique. « J’ai une sainte horreur des postures politiques », proclame le maire de Lagraulet, revendiquant pour seule étiquette « le bon sens agricole ».

Sauver son écharpe pour 400 euros…

Nicolas Méliet brocarde même ses collègues « qui veulent sauver leur écharpe pour 400 euros mensuels. La plupart des petites communes rurales vont disparaître, sauf si elles sont utiles », proclame l’élu entrepreneur, avec un sens très gascon de la provocation. « C’est vrai que je suis volontairement provocateur, mais ça porte ses fruits aujourd’hui », dit-il, fier d’avoir pratiquement fait doubler la population de la commune depuis son premier mandat. « Après vingt ans de galère » à lutter contre les tendances « conservatrices » de ses concitoyens. « Avec le soutien constant du Toit familial », ajoute Nicolas Méliet, en guise de renvoi d’ascenseur à cette société HLM basée à Auch, fidèle partenaire de notre élu bâtisseur qui cultive aussi une fibre sociale. Toujours entre deux rendez-vous, le maire patron de Lagraulet gare sa berline électrique à l’une des bornes installées à l’entrée du village. L’agriculteur entrepreneur a aussi planté du gazon dans la ruelle semipiétonne qui serpente entre les bâtiments retapés. En attendant le café-restaurant et, à défaut d’une improbable boulangerie dans un village sans attrait touristique particulier, le parking abrite même, pour les résidents, un distributeur automatique de pain. Bio, bien entendu.

Lire le dossier [Territoires en transition] Déconfiner les énergies

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