Bruits de fond Maroc

Published on 31 mars 2023 |

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Maroc : du stress hydrique… à la détresse ?

Par Mohamed Jalil, ingénieur météorologiste et hydraulicien, directeur général du bureau d’études marocain Hydraumet.

Bien que doté d’une position géographique favorable à l’extrême nord-ouest de l’Afrique, profitant ainsi des perturbations abordant l’ouest de l’Europe, le Maroc reste un pays à climat essentiellement semi-aride à aride. Les régimes de précipitations sont dominés par une forte irrégularité dans l’espace et dans le temps, avec une alternance d’années très pluvieuses et de longues séquences de sécheresse sévère. Cette situation s’exacerbe avec le changement climatique, et l’on observe une tendance baissière des pluies et une extension de l’aridité.

Le potentiel des ressources en eau renouvelables du pays est estimé actuellement à environ vingt-deux milliards de mètres cubes (seulement 18 % d’eaux souterraines), soit un peu plus de 560 m³ par habitant et par an. Une valeur moyenne très en deçà du seuil de pénurie (1 000 m3), qui frôle le stress hydrique chronique et masque d’importantes disparités régionales.

Très tôt, le Maroc a mesuré l’importance des enjeux liés à la gestion de l’eau et a maintenu, depuis la fin du protectorat (1956), une politique d’infrastructures denses et d’un dispositif institutionnel moderne. Il a fallu néanmoins attendre l’année 1995 et la promulgation de la loi sur l’Eau pour introduire d’une manière explicite les principes fondamentaux de la gestion intégrée, décentralisée et participative par bassin hydrographique (mise en place des agences de bassin). Un processus qui a été renforcé par la stratégie nationale de l’eau, en 2009, intégrant le développement durable de la ressource en eau, via la gestion bilancielle de l’offre et de la demande, la valorisation de l’eau, sa préservation, sa protection et la modernisation des systèmes d’information. Des axes stratégiques consolidés avec la loi sur l’Eau amendée en 2015.

“La durabilité de ces solutions interroge'”

Malgré ces acquis, la durabilité et la fiabilité de l’approvisionnement en eau du pays sont toujours menacées par les sécheresses récurrentes : risques de pénuries généralisées, épuisement alarmant des eaux souterraines, tarissement des puits et des sources, régression des oasis, détérioration de la qualité des milieux et érosion entraînant l’envasement des retenues de barrages.

C’est dans ce contexte que voit le jour, en 2019, le projet de Plan National de l’Eau (PNE), doté d’un budget d’environ trente-cinq milliards d’euros pour affronter les trente années à venir. Le PNE comprend notamment la mise en place, à l’horizon 2030, d’une vingtaine de stations de dessalement, ainsi que des ouvrages d’interconnexion entre bassins excédentaires et déficitaires pour lutter contre les disparités territoriales en eau agricole et potable.

Reste que la durabilité de ces solutions interroge. Avec des études d’impact environnemental et social revêtant un aspect plus formel que réel, l’efficacité des mesures de sauvegarde et des mécanismes de suivi environnemental reste inconnue. Or l’épisode de sécheresse sévère durant l’année 2021-2022 a mis sous pression l’État pour accélérer ces projets de transfert et de dessalement dans une approche de gestion de crise. D’ores et déjà, les tranches prioritaires de certains programmes sont en phase de contractualisation ou de réalisation.

“Comment ne pas entendre les critiques d’un modèle agricole à très forte empreinte hydrique, en inadéquation avec la situation pédoclimatique des territoires ?”

En revanche, d’autres ressources hydriques dotées d’un potentiel significatif, telles que la collecte et la valorisation des eaux pluviales ou la réutilisation des eaux usées épurées, marquent un grand retard, dû notamment à la faiblesse des capacités de gestion des collectivités territoriales. Et, du côté des utilisations, comment ne pas entendre les critiques d’un modèle agricole à très forte empreinte hydrique, en inadéquation avec la situation pédoclimatique des territoires, que ce soit en termes de variétés ou de modes de production aquavores ?

L’urgence d’une meilleure gestion intégrée de la ressource oblige à repenser la gouvernance du secteur de l’eau de manière holistique, en incluant la résilience des territoires, la mise en place d’une comptabilité régionale de la ressource en eau, sans oublier le renforcement du rôle des collectivités territoriales et des agences de bassin. Pour éviter de passer du stress hydrique à la détresse.

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