De l'eau au moulin Forêt dans le massif du Djurdjura, Algérie. Photo Massi Amazouz

Published on 20 septembre 2024 |

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[Forêts algériennes 1/3] Le défi de la résilience

En Algérie, les forêts sont vulnérables à des facteurs naturels et à des pressions humaines que le changement climatique amplifie : les massifs régressent et se dégradent. Une gestion durable s’impose et doit être réfléchie par l’ensemble des acteurs. Première partie du dossier [Forêts algériennes].

Par Salah Najah, agronome et agroéconomiste
Visuel : parc national du Djurdjura © Massi Amaouz

Les défis des changements climatiques

En Algérie, le changement climatique, marqué par des températures croissantes et une diminution des précipitations1, exerce une pression intense sur l’agriculture, les ressources naturelles et, par extension, sur l’économie et le bien-être social. Seulement 14 % de la Surface Agricole Utile (SAU), composée de cultures irriguées, paraît moins vulnérable à court terme, mais leur résilience dépendra de l’accès continu à l’eau. Les modèles climatiques prévoient une altération du cycle de l’eau, entraînant une baisse de la fertilité des terres, des rendements agricoles réduits et une perte de biodiversité. Selon le Ministère de l’Agriculture, les rendements pourraient diminuer de 10 % ou plus dans des scénarios défavorables, ce qui menacerait la sécurité alimentaire et provoquerait une hausse des prix. Les systèmes pastoraux, essentiels pour une grande partie de la population, subissent également la désertification croissante et des pertes de production. Les oasis, déjà fragilisées par des pratiques non durables, sont aussi affectées. Globalement, ces changements climatiques compromettent les revenus des ménages agricoles, augmentent les prix alimentaires et menacent la stabilité économique du pays dont la population dépasse les 45 millions avec un taux de croissance toujours supérieur à 1,6%.

La population algérienne, concentrée dans le nord du pays et particulièrement sur le littoral, connaît une croissance démographique avoisinant les 2 % par an selon la Banque mondiale (2018). Cette augmentation, combinée à l’aridité croissante, amplifie la pression sur les écosystèmes. La forêt algérienne, déjà vulnérable, est particulièrement menacée par les feux de forêt, responsables de la dévastation de dizaines de milliers, voire de centaines de milliers d’hectares chaque année.

La baisse des précipitations affecte directement les rendements des cultures stratégiques comme les céréales et les fourrages, principalement pluviales, ainsi que le pastoralisme de la steppe, qui affronte une désertification sans précédent (GIZ Algérie & BNEDER 2018). Ces cultures et le pastoralisme ne sont plus possibles que dans les zones maintenant une certaine humidité, ce qui correspond aux principales zones forestières du nord-est de l’Algérie.

Face à la gestion complexe des ressources en eau qu’exige le déficit hydrique caractéristique de l’Afrique du Nord, il est urgent d’adopter des aménagements basés sur une utilisation durable et écologiquement optimisée des sols. Le rapport du GIEC intitulé “Changement climatique et terres émergées” (août 2019) souligne l’importance de l’agroforesterie pour contribuer à l’adaptation et à l’atténuation du changement climatique. En Europe, l’agroforesterie entend souvent la réintégration de l’arbre dans les champs et les systèmes de culture existants, tandis qu’elle correspond, dans les pays en développement, à une gestion forestière et à une reconquête des territoires arides et désertifiés.

Des écosystèmes forestiers vulnérables

Les écosystèmes forestiers en Algérie sont vulnérables à des facteurs naturels et anthropiques que le changement climatique amplifie mais il existe peu de connaissances sur leurs futurs impacts. Selon la Direction Générale des Forêts (2016), la résolution des projections climatiques n’est pas suffisante et les inventaires forestiers restent fragmentés.

Une étude menée par le Bureau d’analyses pour le développement rural (BNEDER, 2018) identifie les principaux risques pour le secteur forestier comme suit :

  • Le stress hydrique et la hausse de température, dus au glissement des étages bioclimatiques, rendent la propagation des feux de forêt plus probable. C’est la principale cause de régression des superficies forestières en Algérie ;
  • L’ensablement, les crues et les inondations provoquent une dégradation des sols ; l’insuffisance des reboisements et des corrections torrentielles l’amplifient ;
  • Divers appétits s’exercent sur les espaces forestiers : coupes de bois, défrichement de parcelles, arrachage de plantes commercialisables et surfréquentation des milieux forestiers altèrent les biotopes et modifient les paysages.

Un état des lieux

Il n’existe pas d’inventaire précis et normalisé des superficies forestières en Algérie. Il y a donc des écarts significatifs entre les données fournies par différentes sources. Ikermoud (2000) a estimé les forêts à 1 428 000 hectares alors que les reboisements couvraient 717 000 hectares. En 2003, la Direction générale des Forêts (DGF) évaluait la couverture forestière totale à 4 118 948 hectares, ce qui inclut 1 150 000 hectares de forêts, 1 876 000 hectares de maquis et 728 000 hectares de plantations. D’autres sources avancent le chiffre de 1 429 000 hectares de forêts.

Toutes les données, quelle que soit leur précision, montrent cependant que les superficies des espèces du fond floristique (chêne vert, chêne liège, thuya, genévrier) ont tendance à régresser, à l’exception du pin d’Alep. L’augmentation des maquis ou formations basses, avoisinant les 3 millions d’hectares, impose une nouvelle vision de la gestion forestière, et notamment de l’aménagement.

La dégradation forestière : une menace irréversible

Au cours des dernières décennies, la forêt algérienne a subi une dégradation continue et peut-être irréversible, tant en termes de quantité que de qualité, ce qui suscite l’inquiétude des experts. Cette dégradation menace le précieux patrimoine forestier, altère profondément le paysage et perturbe l’équilibre écologique. L’avancée du désert, alimentée par l’aridification et les incendies, fragilise les écosystèmes forestiers, tandis que le réchauffement climatique constitue une pression supplémentaire. Il y a deux siècles, l’Algérie comptait plus de 6 millions d’hectares de couverture forestière, contre seulement 3,9 millions d’hectares aujourd’hui, dont 2 millions sont des formations dégradées (matorrals, maquis et garrigues).

Pressions sur les forêts algériennes

Dans le contexte du changement climatique la baisse de la production végétale au Maghreb pourrait atteindre 50% d’ici 2050.

Or la compétition pour l’utilisation des terres a des répercussions majeures. D’une part, la déforestation, qui permet l’expansion agricole, menace la biodiversité et fait disparaître des services écosystémiques vitaux tels que la régulation du climat, la préservation de la qualité de l’eau et la protection des sols contre l’érosion. D’autre part, le développement de secteurs socio-économiques comme l’industrie et les infrastructures exerce également une pression sur les zones forestières, notamment parce qu’il accroît la demande de bois pour la construction et de terres pour l’expansion urbaine.

Cette demande est exacerbée par une urbanisation galopante, proportionnelle à la croissance démographique en Algérie : la population urbaine est passée de 30 % en 1960 à plus de 72 % en 2018, selon les données de la Banque mondiale. L’expansion urbaine entraîne alors une perte irréversible de terres agricoles, avec des conséquences économiques, sociales et environnementales majeures. Les forêts, en particulier celles de l’est algérien, sont confrontées à cette pression croissante.

Les activités informelles et non encadrées pèsent elles aussi sur les forêts. La politique forestière axée sur la conservation limite l’utilisation des ressources forestières, ce qui peut amener des situations dangereuses favorisant les incendies de forêt2. De plus, le manque d’aménagements dédiés aux loisirs en plein air entraîne des comportements irresponsables, comme des feux de camp incontrôlés et une accumulation de déchets qui contribuent à la détérioration des écosystèmes forestiers.

Pour une gestion durable des terres, des forêts et des eaux 

Face à ces enjeux majeurs, il est impératif d’adopter des politiques et des stratégies durables pour la gestion des terres cultivées et des ressources forestières en Algérie. Des modèles innovants d’aménagement du territoire, tels que des villages intégrant sylviculture, agriculture et écotourisme, pourraient concilier développement économique et préservation environnementale. Compte tenu de la baisse des précipitations, qui affecte les rendements des cultures et le pastoralisme, ces activités ne seront possibles que dans les zones où une certaine humidité se maintient, ce qui correspond aux principales zones forestières du nord-est de l’Algérie.

La complexité de la gestion des ressources en eau, dictée par le déficit hydrique caractéristique de l’Afrique du Nord, exige des aménagements basés sur une utilisation durable et écologiquement optimisée des sols. L’agroforesterie s’impose alors comme une option contribuant à l’adaptation et à l’atténuation du changement climatique3, ce qui suppose, pour l’Algérie, de développer la gestion forestière et de reconquérir des territoires arides et désertifiés.

Combattre les incendies de forêt

Les incendies et feux de forêts sont une calamité aux conséquences dévastatrices. Meddour-Sahar et al. (2014) pointent du doigt une progression alarmante de ce phénomène. Les analyses de Borsali et al. (2014) mesurent la menace grandissante que ces incendies font peser sur le patrimoine végétal. Les données de la période 1985-2010 dressaient un sombre tableau avec 780 000 ha de terres incendiées et plus de 32 000 départs de feux, soit une moyenne alarmante de près de 25 000 ha par incendie. En moyenne, au cours des deux dernières décennies, environ 320 km2 de terres ont été ravagés chaque année. A ce rythme, la couverture végétale forestière risque de disparaître d’ici un siècle.

L’année 2021s’est distinguée par l’ampleur et l’étendue de ces incendies. Les feux ont frappé durement plusieurs régions du pays comme la wilaya [préfecture, région] de Khenchela où 2500 ha de forêt ont été anéantis. Près de Tizi Ouzou et Béjaia on déplore la perte de 75 vies humaines, 8800 hectares de vergers appartenant à 832 exploitants agricoles, 2000 têtes de bétail, 100 000 volailles, et 10 000 ruches. Les dommages ne se limitent pas aux ressources naturelles :  42 édifices et 748 habitations, 22 huileries traditionnelles, plus de 70 ateliers d’artisans ont été engloutis par les flammes4.

L’année suivante, en 2022, les incendies ont encore causé la mort de 47 personnes, des centaines de blessés, et des dégâts matériels évalués à 1,5 milliard de dinars (environ 13 millions de dollars). Ils ont détruit 28 000 hectares de forêts (avec 1604 départs de feu).

Ces chiffres placent les formations forestières de l’Algérie parmi les zones les plus vulnérables et nécessitant des mesures de protection immédiates, tant du point de vue de la biodiversité que des enjeux socioéconomiques.

Protéger l’écosystème

L’Algérie s’engage progressivement et de façon soutenue envers la protection de l’environnement, la conservation de la biodiversité et la lutte contre la pollution à l’échelle internationale. En 1992, l’Algérie a signé et ratifié la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), marquant son implication dans la lutte mondiale contre le changement climatique. Elle a également signé la Convention sur la diversité biologique (CDB), ratifiée en 1996. Elle a ratifié le Protocole de Kyoto en 2002, ce qui témoigne de son engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’Accord de Paris, signé et ratifié en 2016, a encore renforcé cet engagement. Il est de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 7 % d’ici 2030, avec un potentiel de réduction de 22 % grâce à un soutien international5.

Le pays a pris des mesures pour faire face au changement climatique dans le secteur agricole. Il cherche en particulier à développer des capacités de gestion durable. Le Plan National Climat 2018 fixe des objectifs d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique. Il inclut des mesures spécifiques pour la conservation des écosystèmes et le renforcement de la résilience agricole. En 2022, l’Algérie a relancé le “Barrage vert” un méga-projet pour lutter contre la désertification.

L’appui des Nations Unies

En appui aux institutions nationales, les agences des Nations Unies présentes en Algérie ont intensifié leurs efforts. Depuis 2022, la FAO a mobilisé des financements pour améliorer la résilience des steppes et des forêts sèches du Barrage vert et impliquer les parties prenantes locales. Le PNUD, quant à lui, a reboisé 100 hectares du cordon dunaire de la zone humide de Guerbès Sanhadja, sensibilisé la population locale et créé une coopérative de femmes rurales pour produire des dérivés du figuier de barbarie. Il a également initié un projet visant à définir un modèle énergétique innovant et adapté, avec des scénarios basés sur différents mix énergétiques. En réponse aux feux de forêt, le PNUD et la Direction Générale des Forêts ont restauré 1673 hectares de zones incendiées, réalisé 2190 m³ de travaux de correction torrentielle, et reboisé 1396 hectares. Le projet a aussi formé 218 personnes, impliqué 58 associations et mis en place une plateforme de suivi du reboisement.

Ainsi, à un moment décisif au regard des contraintes du réchauffement climatique, l’Algérie se trouve à un tournant dans sa gestion des écosystèmes forestiers et adopte une approche dynamique. Nous verrons (article 2/3) que celle-ci peut aussi être axée sur la valorisation de ces espaces.

Lire la deuxième partie du dossier : “Forêts algériennes : du nouveau dans l’écosystème ?”

Le “Barrage vert”

Le Barrage vert, projet lancé au début des années 1970, relie les frontières algériennes d’ouest en est sur 1500 km de long et environ 20 km de large, soit 3 millions d’hectares.

Son objectif premier était de lutter contre la désertification en créant une ceinture forestière pour stopper l’avancée du désert vers le nord. Aujourd’hui des mesures socio-économiques et environnementales s’y intègrent avec des objectifs de développement durable et de résilience des communautés locales. Il est prévu de l’étendre sur 4,7 millions d’hectares d’ici 2035, et d’y inclure la réhabilitation des zones forestières et pastorales existantes ainsi que le reboisement de nouvelles surfaces. Son approche intégrée cherche à améliorer les conditions de vie des populations locales par la création d’espaces récréatifs et d’écotourisme, et à soutenir des jeunes dans la fondation d’entreprises de reboisement, d’irrigation, d’entretien. 15 000 kits solaires ont aussi été distribués. Un soutien financier de 43 millions de dollars du Fonds Vert pour le Climat est en discussion.

Les premières phases de reboisement avaient privilégié le pin d’Alep, puis des espèces comme le cyprès vert, le cyprès d’Arizona, le févier d’Amérique et l’acacia ont été introduites pour diversifier la flore et mieux s’adapter aux conditions locales. Aujourd’hui, le projet cherche aussi à utiliser diverses espèces pour améliorer la résilience écologique et la productivité des terres : l’atriplex, pour lutter contre la désertification, l’opuntia, adaptée aux zones arides. Le caroubier, connu pour ses fruits comestibles, et des arbres fruitiers rustiques sont implantés pour diversifier les ressources et sources de revenus des populations locales.


Références bibliographiques

Banque internationale pour la reconstruction et le développement et Banque mondiale, 2023. Note sur les forêts algériennes : Gestion durable des forêts pour lutter contre les feux de forêts.

BNEDER-GIZ, 2018. Rapport de synthèse “Analyse de risque et de vulnérabilité au changement climatique.” Projet d’appui au Plan National Climat (APNC). République Algérienne Démocratique et Populaire, Ministère de l’Environnement et des Energies Renouvelables (BNEDER) – GIZ [Agence allemande de développement] – University of Salzburg, 76 p.

Borsali A.H., Benabdeli K., Gros R., 2014. Dynamique structurelle de la végétation en zone semi-aride : cas de la forêt de Fénouane (monts de Saida, Algérie occidentale). Afrique Science, 10(2), 419−433.

Ikermoud M., 2000. Evaluation des ressources forestières nationales. Direction générale des Forêts, Alger.

Meddour-Sahar O., Meddour R., Leone V., Derrid A., 2014. Motifs des incendies de forêt en Algérie : analyse comparée des dires d’experts de la Protection Civile et des forestiers par la méthode Delphi. VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, 14(3).


  1. Voir le 5e rapport du GIEC, 2014 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/SYR_AR5_FINAL_full_fr.pdf
  2. Les politiques axées uniquement sur la conservation limitent l’utilisation des ressources forestières, donc entraînent une accumulation de la biomasse inflammable et augmentent le risque d’incendies de forêt. C’est ce qui a été constaté lors du “Camp Fire” en Californie en 2018 et lors des incendies du “Black Summer” en Australie en 2019-2020.
  3. Rapport du GIEC intitulé “Changement climatique et terres émergées” (août 2019)
  4. https://lasentinelle.dz/index.php/2023/06/24/bilan-des-incendies-de-forets-en-2021-et-2022-150-morts-et-17-milliards-de-dinars-de-pertes/
  5. Voir https://unfccc.int/documents/636692

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