De l'eau au moulin agroécologie

Published on 15 mai 2023 |

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Au-delà du bio, quelles voies pour l’agroécologie en France ?

Par Robin Degron, professeur des universités associé à Paris 1 Panthéon-Sorbonne (HDR géographie)

En dépit d’externalités sanitaires et environnementales positives, l’agriculture biologique offre de plus faibles rendements. Comment, alors, avancer dans la transition agroécologique ? Un regard hors de nos frontières permet d’entrevoir des solutions neuves.

La nécessité de la transition écologique presse les développements de l’agroécologie. Celle-ci rejoint, en Europe, le modèle précurseur de l’agriculture biologique. Longtemps marginalisé en France, ce modèle a été promu en 2018 par la loi Egalim 1 qui a fixé l’objectif de 15 % de la surface agricole utile (SAU) en bio d’ici 20221. En juillet dernier, un rapport de la Cour des comptes a fait le point sur le soutien à l’agriculture biologique2 et elle invite à consacrer davantage de moyens à cette filière qui présente des externalités sanitaires et environnementales positives par rapport à l’agriculture dite conventionnelle.

“L’agroécologie, en particulier en France, paraît donc à la peine”

La Cour constate toutefois que le marché du bio est fragilisé. La part de la SAU bio reste en effet à un niveau relativement bas dans l’Union européenne et stagne même depuis 2020. La crise d’approvisionnement en denrées alimentaires, notamment en céréales, ainsi que le retour de l’inflation menacent une filière encore jeune, moins productive et dont les produits sont plus chers. La relative faiblesse des rendements en bio est un problème à l’heure où la vocation productive de la PAC, sans renouer avec le productivisme, retrouve une certaine actualité.

L’agroécologie, en particulier en France, paraît donc à la peine. Si le modèle de l’agriculture biologique a du mal à se maintenir, d’autres voies sont à explorer pour une agriculture durable au sens des Objectifs de Développement Durable (ODD) du programme 2015-2030 des Nations Unies. L’objectif 2, dédié à l’alimentation et l’agriculture, vise à concilier un haut niveau de production avec la préservation de l’environnement ainsi que la santé des agriculteurs et de leur entourage. Si, en France, la voie de la Haute Valeur Environnementale (HVE) est encouragée, en particulier dans la viticulture, d’autres approches pourraient être envisagées en s’appuyant sur l’expérience de quelques États indiens qui sont à la pointe de la transition agroécologique.

Des difficultés économiques

Alors que le projet de plan d’action pour la production biologique dans l’Union européenne, présenté en mars 2021 par la Commission européenne, prévoyait d’atteindre une SAU de 25 % en bio à l’échéance 2027, le Parlement européen, pourtant en général très allant en matière écologique, a décidé d’encourager le modèle sans pour autant fixer d’objectif à son développement. Lors de sa séance du 3 mai 2022, dans un contexte marqué par la crise ukrainienne, il l’a supprimé dans le plan d’action en faveur du bio, qui était l’une des principales déclinaisons de la stratégie « De la ferme à la fourchette ».

Le développement des surfaces cultivées en bio à l’échelle de l’Union européenne a été rapide mais il plafonne désormais et reste globalement faible, avec 8,1 % de la SAU européenne en 2019 (Agence Bio, 2021). En 2020, selon les dernières données disponibles pour les principaux pays agricoles de l’UE, si la France a dépassé l’Espagne, devenant le premier pays pour les surfaces cultivées, avec 2 548 718 ha, soit 9,5 % de la SAU du pays cultivé en agriculture biologique, elle reste loin des objectifs fixés par la loi. Et les tendances économiques sont préoccupantes pour le bio dans un contexte de hausse des prix alimentaires.

La Cour pointe « des interrogations sur la pérennité de l’équilibre économique de l’agriculture biologique »

Fondé sur une analyse approfondie des données économiques et de nombreux échanges avec les parties prenantes de la filière bio, le rapport de la Cour des comptes observe qu’à une forte progression de la demande et un niveau de prix élevé, qui ont suscité une vague de conversions, succède une période où la demande ralentit et le niveau des prix fléchit. La Cour pointe « des interrogations sur la pérennité de l’équilibre économique de l’agriculture biologique ». Elle constate qu’après des signes de faiblesse dès 2019 le marché du bio a connu un retournement en 2021 avec, pour la première fois, une baisse des ventes dans la grande distribution non spécialisée. La part du bio dans la consommation stagne autour de 6,6 %.

La Cour souligne un certain nombre de problèmes structurels : « La réduction de l’écart de prix en faveur du bio au fur et à mesure du développement des ventes en grande distribution non spécialisée (52 % des ventes bio en 2021) ; le manque de communication sur l’agriculture biologique […] face à la concurrence croissante de labels verts moins exigeants conduisant, face à la surproduction de certains produits […], à des baisses des prix payés aux producteurs ; une structuration insuffisante des filières bio, avec un manque d’installations de stockage adaptées à certaines productions […] et la faiblesse des industries de transformation des produits bio. »

Les dernières données de l’Agence Bio confirment les difficultés de la filière3. Ainsi, au 31 août 2022, les arrêts de certification en bio augmentent de 42 % en un an et les conversions ralentissent de 37 %.

Des bienfaits pour la santé et l’environnement

Ces tendances affectent un mode de production positif en termes sanitaires, en comparaison de l’agriculture dite conventionnelle, en particulier pour les agriculteurs et leur entourage, ainsi qu’en termes environnementaux, spécialement sur le plan de la qualité de l’eau, des sols, de l’air et de la biodiversité. La Cour présente une synthèse actualisée des bienfaits d’un moindre recours aux pesticides et engrais azotés de synthèse.

Ce travail s’appuie notamment sur l’étude de l’Institut Technique de l’Agriculture Biologique (ITAB, 2016) avec le renfort de chercheurs de Inrae4. L’Inserm (2021)5 souligne par ailleurs les effets délétères des pesticides sur la santé humaine. Les problèmes posés par l’emploi de ces produits phytosanitaires sont connus de longue date et ne peuvent plus être ignorés6.

“L’étude de l’Itab (2016) centrée sur la France, soulignait un différentiel de rendement pour les céréales de l’ordre de 50 % en défaveur du bio”

Mais les rendements globalement inférieurs du bio présentent deux conséquences négatives : sur le plan écologique, à production constante, il faut cultiver davantage et cela peut nuire aux espaces naturels, aux milieux aquatiques et forestiers ; sur le plan socioéconomique, le rendement à l’hectare étant plus faible, les quantités produites baissent et les prix ont tendance à grimper dans une période de regain d’inflation particulièrement sensible pour les ménages les plus modestes. Si la Cour pointe des pertes moyennes de rendement entre le bio et l’agriculture conventionnelle de l’ordre de 20 % en s’appuyant sur une méta-analyse réalisée à l’échelle internationale, les baisses peuvent être bien plus importantes sous les climats tempérés et selon les cultures.

L’étude de l’Itab (2016) centrée sur la France, soulignait un différentiel de rendement pour les céréales de l’ordre de 50 % en défaveur du bio. En comparant les rendements dans une même région et sous un même climat, le différentiel reste d’environ 50 %. En 2021, en Île-de-France, le rendement de blé tendre bio était de 45 quintaux à l’hectare contre 82 en conventionnel, soit 54 % (source DRIAAF). Même en faisant évoluer la consommation, notamment en évitant le gaspillage alimentaire, cet écart de production paraît difficilement surmontable.

De nouvelles voies pour la transition agroécologique

Pour continuer d’avancer vers la transition agroécologique, d’autres voies sont à explorer. Dans sa note intitulée « Accompagner la transition agroécologique » (octobre 2021)7, la Cour des comptes évoque la diversité des pistes empruntées en France dans le cadre de l’éco-conditionnalité des aides du premier pilier de la PAC tout en veillant à maintenir une certaine exigence sur le nouveau label HVE.

Celui-ci serait une solution non négligeable pourvu que l’ambition de son cahier des charges soit rehaussée. Cette approche présente l’avantage de largement diffuser « l’inspiration agroécologique » dans l’ensemble de la profession agricole. La transition agroécologique sera affaire de long terme et de mouvement global si l’on veut traiter efficacement les problèmes sanitaires et environnementaux posés par l’agriculture et son avenir, comme le rappelle le professeur Marc Dufumier de l’AgroParisTech8.

De manière plus originale, en se tournant vers l’international, la recherche agronomique française, la première d’Europe, pourrait se tourner vers d’autres grandes civilisations agraires pour alimenter sa réflexion et le potentiel d’innovation de notre agriculture. À ce titre, certaines initiatives engagées dans des États de l’Union indienne, en particulier en Andhra Pradesh ou dans le Kerala, attirent l’attention9

“L’ouverture à d’autres visions de l’agriculture participe selon nous d’un renouveau de la recherche agronomique occidentale”

. « L’agriculture naturelle » ou Natural Farming, qui ne correspond pas à « l’agriculture biologique » ou Organic Farming, paraît prometteuse. Conciliant maintien de rendements élevés, suppression des pesticides et même réduction drastique des intrants organiques, pas seulement de synthèse – d’ailleurs devenus inaccessibles pour beaucoup de petits producteurs indiens –, cette méthode est fondée sur une gestion durable des sols. Elle vise en particulier à entretenir une forme de symbiose entre les communautés végétales, les champignons, les vers de terre ou les microorganismes que renferme le sol. Un sol non saturé de produits chimiques peut être le lit d’une production de matière organique naturelle, fixatrice de carbone et d’azote.

Des apports azotés d’origine animale, en quantité limitée, contribuent par ailleurs à une forme de renaturation de cette frontière biotique, de ce compartiment mal connu et pourtant fondamental des agrosystèmes. Il reste à approfondir ce modèle mais l’ouverture à d’autres visions de l’agriculture participe selon nous d’un renouveau de la recherche agronomique occidentale. L’ouverture géographique dans la réflexion est un des « sésames » d’une transition agroécologique active, décloisonnée, perméable à la diversité du monde et aux solutions qu’il offre.


LIRE AUSSI :

  1. Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
  2. Cour des comptes, Le Soutien à l’agriculture biologique. Rapport et synthèse, 2022. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-soutien-lagriculture-biologique
  3. Cf. Agra Fil du 16 septembre 2022.
  4. Sautereau N., Benoît M., Quantification et chiffrage des externalités de l’agriculture biologique, ITAB-INRA, 2016.
  5. INSERM, Pesticides et effets sur la santé. Nouvelles données, 2021.
  6. Jouzel J.-N., Pesticides. Comment ignorer ce que l’on sait, Presses de Sciences Po, 2019.
  7. Voir https://www.ccomptes.fr/fr/publications/accompagner-la-transition-agroecologique
  8. Dufumier M., « L’agriculture française de demain », dans Pour, 2016/4, n° 232, pp. 261-267.
  9. Voir notamment Dorin B., « Theory, Practice and Challenges of Agroecology in India », inInternational Journal of Agricultural Sustainability, en ligne, pp. 153-167, 2021 ; et Münster D., « Performing Alternative Agriculture: Critique and Recuperation in Zero Budget Natural Farming, South India », inJournal of Political Ecology, vol. 25, pp. 748-769, 2018.

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One Response to Au-delà du bio, quelles voies pour l’agroécologie en France ?

  1. gilbert espinasse says:

    Combien de palabres pour tourner autour du pot mais sans jamais essayer de découvrir le fond !
    Ne croyez pas répondre aux enjeux climatiques et environnementaux en cherchant à persévérer avec notre éthique actuelle l’activité agraire : l’exploitation !
    Qui dit “agriculture ” dit bien :Culture de la terre .,et qui dit culture ,implique ,en tout premier chef :le respect de la chose donc de cette terre .Alors, nous pourrons espérer aller vers un autre but, celui de “reruraliser” notre société humaine pour un peu plus d’équilibre, d’harmonie et donc de bonheur…..,ce que nous recherchons tous ,même inconsciemment !
    S’il m’arrive encore de rêver un peu ,je peux montrer ,sur le terrain ,ce que cela a donné et donne encore ……après 55 ans de culture bio !!!
    J’en termine pour aujourd’hui avec mes “utopies” en attendant votre critique ! Bon courage ,toujours à l’ouvrage !

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