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Croiser le faire

Published on 13 décembre 2017 |

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[Prix du lait] Agile pour ne plus être fragile

Par Stéphane Thépot.

Converti au bio pour éviter la faillite, Pascal Massol ancien leader des producteurs de lait en colère a rejoint un réseau de fabrication de yaourts à la ferme.

Pascal Massol est redevenu invisible. Petites lunettes rondes et longs cheveux blonds, l’ancien leader de l’APLI, l’Association des Producteurs de Lait Indépendants, crevait l’écran entre 2008 et 2009 avec sa « grève du lait ». Il est présenté à l’époque comme « le nouveau José Bové ou le futur Raymond Lacombe » par Eric de La Chesnais dans Le Figaro. Le bouillant éleveur aveyronnais au look de hippie fut un temps affilié à la Coordination rurale, mais il a fini par trouver les syndicats « minoritaires » trop envahissants dans son association, présentée comme apolitique et sans obédience syndicale. Pascal Massol a claqué la porte de l’Apli qui s’est pour sa part diluée au sein de l’European Milk Board (EMB). Cette organisation revendique 100 000 producteurs au niveau européen et milite pour un lait « équitable ». En 2013, elle a lancé sa propre marque de lait en France comme dans cinq autres pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Luxembourg, Italie). Affichant fièrement une vache tricolore, FaireFrance revendique avoir écoulé 5 millions de litres en pack, vendus exclusivement en grandes surfaces. Les 500 producteurs qui ont rejoint cette Société par Actions Simplifiée (SAS) fonctionnant comme une coopérative de vente sont assurés de toucher un minimum de 45 centimes par litre. C’est le coût moyen de production en France calculé par un bureau d’études allemand pour l’EMB en 2013. Mais l’enquête montrait une forte disparité à l’échelle des régions : 34 centimes seulement en Bretagne et les Pays de la Loire, 10 centimes de plus dans le Sud-Ouest.

Seulement un ballon d’oxygène

Economiste à l’Inra, Vincent Chatellier prend ces chiffres avec des pincettes. « La variation des coûts est bien plus forte entre les exploitations qu’entre les régions. Elle peut souvent atteindre 25% entre les quartiles supérieur et inférieur dans un même bassin de production, soit un différentiel proche de 60 euros la tonne », explique le chercheur nantais. L’initiative de l’EMB a toutefois fait école. Surfant sur la dernière crise provoquée par la fin des quotas laitiers en Europe, le lait « C’est qui le patron ?! » revendique avoir écoulé plus de briques que FaireFrance dès sa première année de lancement. Dans la foulée, la marque des « consom’acteurs » se lance dans le beurre, mais aussi les pâtes, la salade et le steak haché. « Ces initiatives rencontrent un fort écho médiatique et sont intéressantes, mais elles ne touchent que quelques dizaines ou centaines de producteurs à chaque fois », relativise Vincent Chatellier. Elles peuvent apporter un ballon d’oxygène ici ou là, mais sont incapables de faire vivre les 60 000 exploitations laitières répertoriées en France (un chiffre qui a tendance à baisser chaque année).

Une belle maison, transparente.

« L’idée de la bio, c’était mon frère. » Photo Stéphane Thépot.

Dans sa ferme du Lévézou, Pascal Massol a senti le vent du boulet. L’ancien leader flamboyant de la grande jacquerie des producteurs de lait a lui-même failli déposer le bilan. Pour redresser la barre, son frère Régis l’a convaincu de convertir le Gaec familial à l’agriculture biologique. « On s’éclate, ça a changé notre vie » se félicite l’éleveur aveyronnais. Féru de génétique, Pascal Massol a remplacé une partie de ses vaches Holstein à haut potentiel laitier par des Jersiaises. « Ce sont les seules capables de faire un lait de qualité avec de la cellulose » assure Pascal Massol, qui tend vers l’autonomie fourragère de l’exploitation. Il ne jure plus que par les travaux d’André Voisin, un agronome normand mort à Cuba, où il fut l’invité personnel de Fidel Castro. Le dictateur cubain s’était lui aussi passionné pour les travaux que le chercheur français a consacré à la meilleure façon de poursuivre la « révolution fourragère » en réhabilitant l’herbe et le pâturage tournant, alternative locale aux importations de soja yankee, le « carburant » préféré des Prim’Holstein. « Je rage qu’on ne nous ait pas appris ses théories à l’école. Quand tu as lu ses bouquins, tu n’as plus besoin de personne », affirme Pascal Massol avec la foi du nouveau converti. 

180 millions de litres

L’ex-fondateur de l’Apli a redéployé toute son énergie militante au sein de Biolait, une SAS destinée à collecter le lait bio en France. La petite entreprise, lancée en 1994 par six producteurs du Morbihan et de la Loire-Atlantique, s’est étendue depuis dans 70 départements et a collecté 180 millions de litres de lait en 2016. « C’est une belle maison, transparente, qui fonctionne à la manière d’une coopérative », apprécie Pascal Massol. Il a d’abord consacré son temps à structurer le réseau de collecte dans sa région mais a aussi cherché à se lancer dans la transformation : Lait bio 12 est une autre SAS qui regroupe neuf éleveurs et six exploitations dans le Lot et l’Aveyron. « On était vingt-six au départ, mais il y avait trop de gars de la Confédération paysanne qui adorent discuter sans jamais passer à l’action », grince-t-il. Le lait collecté sert à produire un fromage au lait cru. Il est fabriqué par les Bergers du Larzac, une petite coopérative fondée par un ancien militant de l’ex-syndicat de José Bové dans l’Aveyron. Pascal Massol s’est aussi découvert un goût pour l’action commerciale en allant vendre les yaourts et les crèmes dessert fabriqués depuis peu directement sur l’exploitation familiale. Sorti de sa mauvaise passe financière, le Gaec de la famille Massol a investi 150 000 euros dans un atelier de transformation à la ferme. « C’est le prix d’un tracteur, sauf que quand tu tournes la clé, tu n’as plus rien à payer. Au contraire, ça te rapporte », dit-il avec le sourire. Un tuyau relie la salle de traite à la nouvelle yaourterie, un bâtiment flambant neuf équipé suivant les préceptes très professionnels d’un récent réseau de produits fermiers bio impulsé par les frères Péard et trois autres fermes de Loire-Atlantique, avec le soutien de l’Agence Bio.

Entreprise agile

Fils d’agriculteur, Jean-Michel Péard a fait des études de commerce et a connu une première vie professionnelle loin de l’agriculture avant de reprendre la ferme familiale du bocage breton avec son frère en 2006. Il a roulé sa bosse dans l’agroalimentaire puis a baigné dans l’euphorie spéculative de la bulle internet avant de redescendre sur terre. Dans son esprit, l’exploitation agricole doit devenir une « entreprise agile » et s’adresser directement au consommateur, sans passer par l’industrie lourde des filières de transformation traditionnelles. Jean-Michel Péard a recruté un ancien chef de produit chez Lactalis pour apporter une assistance technique aux agriculteurs qui se lancent dans la transformation du lait. Son réseau, conçu sur le modèle des enseignes en franchise commerciale, apporte un soutien marketing à la vingtaine de fermes bio qui l’ont rejoint depuis son lancement en 2015. Chacune produit et commercialise elle-même les produits de son choix dans la gamme de recettes élaborées avec le technicien (yaourt, fromage blanc, crème dessert, fromage), mais sous une marque commune. Les emballages sont personnalisés pour chaque exploitation, avec la photo du fermier en compagnie de l’une de ses vaches. Le Gaec des frères Massol dans l’Aveyron est ainsi devenu « La ferme du Céor ». C’est Régis qui pose avec une Jersiaise sur tous les pots de yaourt et de crème qui sortent de l’exploitation. Pascal Massol n’est plus la vedette et s’en porte très bien. « Le bio, c’était l’idée de mon frère », dit l’ancien leader qui est rentré dans le rang.

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